Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/715

Cette page a été validée par deux contributeurs.
711
POÈTES ET MUSICIENS ALLEMANDS.

M. de Lamartine : on disait de toutes parts que le chantre des Méditations et des Harmonies s’était jeté dans la politique, afin d’oublier la Muse qui l’abandonnait, lorsque tout à coup l’inspiration est revenue au sanctuaire accoutumé, et frappant l’ame du poète comme Moïse la pierre du rocher, des eaux vives et fécondes ont coulé abondamment de cette source que l’on croyait tarie, et le fleuve qui s’en échappe ne ressemble à celui qui s’en est échappé jadis que par sa transparence et sa beauté. Tous les deux s’épanchent sans se confondre à travers les campagnes de la terre ; l’un roule dans ses flots les nuages du firmament et les étoiles ; l’autre réfléchit l’humanité et va se grossissant de ses larmes.

La puissance de M. Meyerbeer éclate surtout dans sa manière de traiter les grandes masses d’harmonie ; il est plus que tout autre doué du sentiment de la sonorité. Il a trouvé dans l’orchestre des combinaisons inouies, dans les voix des effets auxquels nul avant lui n’avait pensé. S’il emploie, pour produire de grands effets, tous les moyens dont il croit pouvoir disposer, ce n’est jamais aux dépens de la correction du style. Enfin, on peut bien ne point approuver ses tendances, mais il est impossible d’en méconnaître la générosité. Que M. Meyerbeer continue, qu’il invente dans l’instrumentation et s’abandonne à sa nature, sans prendre nul souci des choses banales qu’on lui répète chaque jour : à savoir qu’en abusant de certains moyens, il rend après lui toute musique impossible, comme s’il dépendait d’un homme qui passe d’absorber en lui les ressources éternelles de l’art ; comme si, lorsque M. Meyerbeer aura remué l’orchestre dans ses profondeurs souterraines, épuisé les voix, abusé des instrumens, il ne restera pas toujours sur la terre un clavecin où quelque jeune homme de la famille de Cimarosa ou de Paisiello pourra venir s’asseoir et chanter ses tendres sensations en belles mélodies. L’art est infini comme la nature : l’homme peut bien épuiser ses propres ressources, celles de l’art sont inépuisables ; car il les renouvelle chaque jour, comme la terre ses moissons et ses fruits.


Henri Blaze.