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ce que lui seul peut dire. Rien n’échappe à son enthousiasme, que le plus sévère examen ne puisse justifier. La plus simple combinaison a son but, la plus petite note sa destination ; là, tout est travail et ciselure. L’œuvre de M. Meyerbeer n’est pas un océan qui roule avec indifférence des myriades de perles dans ses profondeurs, mais une couronne merveilleuse où chaque perle choisie est enchâssée avec un art exquis dans des cercles d’argent. Rien ne se perd, rien ne s’égare dans ce cercle parfait. Si vous interrogez les moindres notes oubliées dans un coin de l’orchestre, elles vous répondront qu’elles sont venues là par la volonté du maître plutôt que de leur propre mouvement. Il semble que l’intelligence de M. Meyerbeer ait, pour saisir les moindres notes, de petits doigts semblables à ces pinces dont les joailliers se servent pour examiner les plus imperceptibles diamans.

M. Meyerbeer se rend compte de tout, même de la mélodie ; il domine son inspiration, il en a conscience en quelque sorte. Aussi l’œuvre qu’il vient de produire, ce pas immense qu’il vient de faire dans la carrière n’a rien qui nous étonne. Les hommes d’un génie laborieux et patient ont une marche égale et directe ; partis d’un point, il est facile de prévoir en quel endroit ils s’arrêteront pour prendre haleine, et sur quels sommets ils élèveront leur tente pour se reposer. Or, c’est parce que M. Meyerbeer est arrivé sur une de ces hauteurs que les hommes éminens peuvent seuls atteindre ; c’est parce que nous avons la conviction profonde qu’il s’y maintiendra désormais, que nous avons essayé de l’apprécier. Ce n’est pas ainsi que procèdent les hommes de mélodie et d’inspiration ; rien dans leur course ne peut se calculer : c’est la fantaisie qui les dirige, ils ont à tout moment des divagations sublimes. Chez eux, comme l’œuvre présente n’est point une conséquence immédiate de l’œuvre passée, mais un jet franc, libre, spontané, ce qu’ils ont pu faire n’indique nullement ce qu’ils feront. La nature de leur création dépend d’un rayon de soleil, d’une disposition de l’ame, d’une influence du printemps ou de l’automne. Qui donnera la mesure des choses qui sortiront encore du cerveau de Rossini ? Qui sait si l’œuvre qu’il médite sera la lumière ou le chaos ? Quoi qu’il en soit, il ne faut jamais désespérer des hommes de mélodie et d’inspiration ; ils tiennent souvent au-delà de leurs promesses. Je prends à témoin l’exemple tout récent que vient de donner