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quotidiennes et des insultes, qui, dans ces temps de monarchie absolue et de convictions religieuses, frappaient l’état dans son double cœur, l’autel et le trône ; une page de sang jetée au hasard parmi ces innombrables feuillets d’encre et de fiel, dont les réformés couvraient le sol de la France et de l’Europe. Or, dans le poème, la Saint-Barthélemy n’est pas le moins du monde un acte de politique, mais bien tout simplement un fait individuel, une querelle d’homme à homme. Le marquis de Saint-Bris offre la main de sa fille à un protestant qui la refuse ; dès-lors, le noble marquis médite la ruine de tous les protestans. S’il se trouvait, parmi ses co-religionnaires, un homme assez mal avisé pour dédaigner son alliance, M. de Saint-Bris ferait égorger sur-le-champ tous les catholiques. Cet homme a la fureur de marier sa fille, il anéantirait la race humaine pour se trouver un gendre. Je vous laisse à penser si c’est là bien s’y prendre pour augmenter sa famille.

Il semble cependant qu’il serait bientôt temps d’en finir avec ces misérables profanations de deux choses sacrées : la religion et l’histoire. Voyez cette pièce des Huguenots : il y a là un homme infâme, qui, lorsqu’on le provoque, tend des piéges à ses adversaires, au lieu de se battre contre eux. Eh bien ! de ce personnage on a fait un catholique ardent qui commet au nom du ciel des lâchetés dont le dernier bravo vénitien rougirait sous son masque ; de cet être odieux, on a fait un représentant de la noblesse française au xvie siècle. Toutes les fois qu’il se rencontre un rôle exécrable, soyez sûrs que c’est un noble ou bien un prêtre qui le joue. Le théâtre moderne le veut ainsi : il semble qu’à la place des règles d’Aristote on ait inventé des lois morales pour le drame, et que la première de ces lois s’exprime de la sorte : Désormais tout artisan de machinations sourdes et lâches sera un gentilhomme, tout suborneur un prêtre catholique. Observez que presque toujours les rôles odieux sont marqués d’une empreinte sacrée. Vraiment, à voir de quelle façon singulière le catholicisme est traité sur la scène, on ne se croirait pas en France, dans le pays de Louis xiv et de Bossuet. Au moins la royauté garde ses droits ; elle a bec et ongles, et peut empêcher qu’un misérable comparse porte la main sur la couronne des Médicis, et s’en couvre insolemment le chef. Mais l’église abolie et renversée, que voulez-vous qu’elle fasse ? à qui voulez-vous qu’elle demande aide et protection contre les