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POÈTES ET MUSICIENS ALLEMANDS.

arriver tout le temps nécessaire, de ces amples morceaux si bien à l’aise dans la vaste forme italienne, il n’en est plus question. Au lieu d’une toile immense de Michel-Ange, vous avez un de ces tableaux à compartimens comme en faisaient pour les maître-autels des cathédrales les peintres religieux du xive siècle. Rien ne manque à cette peinture, ni la pureté du dessin, ni la vigueur du coloris, rien, hormis l’unité. Le bel ange adorateur dont les yeux sont aussi bleus que le firmament, les cheveux aussi blonds que les blés, les mains aussi blanches que la neige, a sur son visage une expression céleste de candeur et de recueillement ; mais entre lui et la patrone qu’il adore, entre sa prière et celle à qui elle s’adresse, il y a une charnière de cuivre qui détruit tout l’ensemble harmonieux de l’œuvre. Telle est la faveur dont jouit ce système à l’Opéra, que Don Juan même n’a pu s’y soustraire. Quand il s’est agi d’y introduire cette partition, il a fallu la tailler en pièces. Les portes de l’Opéra sont encore trop étroites pour que les colosses y passent ; le temps les élargira. Des deux actes si pleins et si complets de Mozart, étrange profanation, on a fait cinq actes dépourvus d’harmonie et de liens, Pour une fantaisie du public on a coupé en cinq parts inégales ce bloc de marbre de Paros.

Le menuet que M. Meyerbeer a placé au commencement du dernier acte de sa partition est un morceau plus austère qu’il ne semble d’abord, et qui mérite bien qu’on l’étudie. Les premières mesures de cette musique gravement folâtre expriment à merveille le caractère empesé de ces divertissemens, si fort en honneur à la cour des anciens rois de France. Les notes lugubres jetées çà et là au hasard sur cette galante harmonie de fête émeuvent puissamment l’esprit et l’empêchent de se laisser distraire par les plaisirs qui l’environnent. Dès le quatrième acte, le maître a conçu dans son ame une sombre pensée, et dès-lors cette pensée il la porte en tous lieux avec lui. Chaque fois que les deux notes terribles s’élèvent au milieu des sarabandes, on est frappé de terreur ; il semble qu’un vieux moine pénitent se dresse sur la porte du bal, et prononce d’une voix creuse et solennelle ces mots : Il faut mourir. Un effet pareil appartient plus au poète qu’au musicien ; ce n’est pas la première fois que M. Meyerbeer a prouvé qu’il est un grand poète. On a dit, mais à tort, que ce menuet ressemblait à celui d’Euryanthe. Il n’en est pas d’un menuet comme d’un air ou d’un finale. Tous les menuets ont