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c’est là une grave erreur. Si les choses se passaient de la sorte, tout homme ayant trouvé un motif sur son clavecin en doterait aussitôt quelque belle imagination de Shakspeare, et moyennant cela, se croirait l’égal de Mozart ou tout au moins de Weber. Ce qui détermine un caractère, ce n’est pas une idée, mais une succession d’idées analogues ; autrement, je le répète, le travail de la création deviendrait trop facile. Voyez que d’idées Mozart a jetées dans le rôle de don Juan, la création la plus complète, la plus une, qui soit au monde. Est-ce que l’introduction où don Juan tue en duel le commandeur ressemble, quant à la phrase musicale, au finale où, l’épée encore à la main, il repousse Octave et les rustres qui le menacent ? Est-ce que fin che d’al vino, ce chant d’ivresse du libertin oublié, du ciel, apparaît dans l’orchestre durant la formidable scène de la statue, comme un souvenir du crime à l’heure solennelle de l’expiation ? Et pourtant quel homme ne saisit aussitôt les rapports mystérieux qui attachent ensemble toutes ces mélodies ? quel spectateur intelligent et placé assez haut pour dominer l’œuvre qu’il écoute, ne demeure stupéfait, voyant l’unité jaillir des élémens les plus divers ? On sent que toutes ces pensées sortent du même cerveau, toutes ces étincelles de la même fournaise ; on sent que toutes ces feuilles sonores, et dont pas une n’est égale à l’autre, se détachent du même arbre, d’un arbre que la main de Dieu secoue et va foudroyer. Ainsi de Weber. Toutes les phrases de Gaspard, dans Freyschütz, sont marquées d’un sombre caractère de malédiction et de fatalité, et pourtant qui pourrait dire que celle-ci ressemble à celle-là, par le rhythme ou la mélodie ? À peine si dans la scène des balles, l’auteur rappelle la chanson du premier acte.

Pour apprécier dignement le travail de M. Meyerbeer, il faut que l’on réfléchisse aux difficultés qu’il avait à surmonter à propos du personnage de Marcel ; l’effet solennel ou comique de ce rôle dépendait purement du style employé par le compositeur à son égard. M. Meyerbeer a compris cette vérité, et la constante élévation de sa pensée a sauvé ce personnage, dont sans cela les allures familières auraient bien pu exciter dans le public une tout autre émotion que celle des larmes. En effet, ôtez le grand style qui le caractérise, qu’est-ce que Marcel, sinon une sorte de Leporello, sentencieux et curieux comme l’autre, qui se mêle, sans le vouloir et d’une façon grotesque, à des aventures politiques et finit, dans un moment ter-