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POÈTES ET MUSICIENS ALLEMANDS.

passer de l’instrumentation, et de tout donner à la mélodie. Le défaut éminent de M. Meyerbeer, c’est de l’oublier et d’étouffer sous des combinaisons minutieuses, et quelquefois frivoles, toute inspiration véhémente et noble. Je sais que c’est une chose fort remarquable qu’un orchestre habilement ordonné ; qu’on ne peut trop admirer l’unité de tous ces instrumens, autour desquels le motif se déroule comme le fil de soie autour de la quenouille ; mais cependant il faut qu’il y ait des bornes à ce culte de l’instrumentation, sans quoi l’art du musicien finirait par ressembler étrangement au métier des tisserands. Bellini chante bien plus qu’il ne compose ; M. Meyerbeer compose toujours et ne chante guère. On dirait que l’auteur de Norma aimait la rêverie et la promenade dans les bois : il y a dans sa musique quelque chose de vague et de mélancolique, qui semble inspiré par les grandes tristesses de la nature. M. Meyerbeer, au contraire, semble ne subir aucune influence extérieure : sa lampe lui sert plus que toutes les étoiles du firmament. Ici je vois le bel oiseau mélodieux ouvrir ses grandes ailes de pourpre et disparaître presque aussitôt dans l’humide espace, car rien ne soutient son essor. Là, c’est une cage merveilleusement travaillée en imperceptibles filigranes d’argent et d’or ; mais elle est vide, l’oiseau manque, le bel oiseau qui chante si bien au jardin de Cimarosa et de Mozart.

Les hautes qualités du nouvel opéra de M. Meyerbeer se rencontrent surtout dans la partie instrumentale. Là tout a sa loi d’être, se meut avec harmonie et s’ordonne avec art. Là, point d’effets vulgaires, point de formules ayant cours depuis trente ans dans les écoles. Personne plus que moi ne hait les comparaisons dans les choses de l’art ; malgré cela, s’il me fallait opter entre les deux plus belles compositions de M. Meyerbeer, entre l’orchestre de Robert-le-Diable et l’orchestre des Huguenots, je n’hésiterais pas à me décider pour le dernier, produit d’une imagination plus exercée, plus sûre d’elle-même. L’instrumentation de Robert, généralement habile et puissante, a le tort d’être, en certains endroits, embarrassée et diffuse ; on sent que c’est la première fois que l’auteur en agit de la sorte, il couvre son tissu de toutes les pierreries qu’il trouve au risque de le rendre lourd et pesant ; il entasse effet sur effet, abuse de toutes ses ressources ; il est dans le royaume de l’orchestre comme un écolier dans un jardin : il remue tous les trésors, secoue