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tions faciles, ne prenait nul souci de son orchestre, se reposant tout entier sur la grace et la désinvolture efféminée de ses cantilènes : chose regrettable, et sans laquelle Norma serait certainement une œuvre du premier ordre. La musique de Bellini ne s’adresse qu’aux fibres sensibles de l’ame ; son but est atteint, lorsqu’elle a remué les larmes dans leur source. Voilà aussi pourquoi elle plaît tant aux femmes. Les imperfections de ce musicien, qui tenait du ciel le don si rare de la mélodie, ont leur principe dans une sorte de modestie et de faiblesse naturelle, et seraient tombées tôt ou tard, s’il avait pu s’appliquer à certaines formes épiques et grandioses. Ce n’est pas avec de simples cantilènes que l’on fait la scène de la statue de Don Juan ou le finale de la Vestale. Bellini chante avec son cœur, M. Meyerbeer avec sa tête ; des deux côtés le vice est le même. Nous ne sommes plus au temps des bergers d’Arcadie : une flûte qui module ne nous ravit guère. Si les montagnes et les forêts entraient en danse, ce ne serait plus aux sons de la lyre d’Orphée, mais au bruit de tous les orchestres de Beethoven. La lyre d’Orphée a perdu ses vertus, et ne ferait pas tourner la tête au moindre brin d’herbe. On conçoit la lyre d’Orphée dans le bel âge d’or de la Grèce, quand le murmure des fontaines et le bêlement des troupeaux troublaient seuls le calme inaltérable de la nature ; mais aujourd’hui que la vapeur traverse en grondant les vallées sur des chemins de fer, qui l’entendrait cette lyre ? La musique moderne n’existe pas plus dans une pure mélodie, comme le croyait Bellini, que dans les combinaisons instrumentales, comme se l’imaginent quelques hommes de bonne foi, que le Conservatoire a chargés de ses couronnes scolastiques, sans doute pour réparer l’erreur de la nature, qui avait oublié de les douer des premières qualités qui font les musiciens. La musique d’aujourd’hui, c’est l’inspiration ardente et spontanée, le sentiment vrai, la mélodie enfin enveloppée dans la science comme dans un manteau glorieux ; c’est l’ame et le corps, l’une sonore et jetant la vie et la clarté ; l’autre calme, beau de lignes comme l’Apollon antique, et toujours simple, toujours vrai, toujours harmonieux, soit qu’il se tienne immobile au repos, soit qu’il foule d’un pied léger la campagne, lançant des traits, et les cheveux dénoués aux vents. La musique de nos jours, c’est le Don Juan de Mozart, le Mariage secret de Cimarosa, la Symphonie en la de Beethoven. Le grand tort de Bellini, c’est de croire que l’on peut se