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HISTORIENS LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

effleure, dans Leibnitz, dans Gibbon, n’importe où, à côté de lui, il y a un mot, un détail qui prête à l’imagination, à l’émotion du critique, soyez sûr qu’il ne le manque pas ; il le dégage comme le point à faire saillir et à éclairer. Avec lui jamais d’ennui ni de pesanteur.

Le Discours sur la Critique montre à quel degré le jeune écrivain en avait déjà le génie pour toute la partie du style et des convenances. Il y loue, il y distingue Marmontel et La Harpe, en homme qui au début les égale en ne leur ressemblant pas, et qui doit les faire oublier. Shakspeare y est nommé avec des restrictions, mais avec une bienveillance précoce ; c’est un germe déposé que plus tard, la saison aidant, il développera. Delille, qui vient de mourir, y reçoit de fines critiques s’exhalant dans des hommages, et cet habile et inexprimable mélange dénotait bien celui qui saurait, sans refuser l’admiration, maintenir la dignité et la malice délicate de la critique devant les poètes. M. Villemain, qui avait lu deux ans auparavant quelque chose de son Éloge de Montaigne à une séance de l’Académie, en présence de Delille, lut, en 1814, un morceau de son Discours sur la Critique, dans une séance à laquelle assistaient les souverains alliés. Il se ressouvint honorablement, en 1824, de cette circonstance, le jour où dans sa chaire il éleva la voix pour son éloquent collègue, alors prisonnier de la Prusse. Ainsi chez M. Villemain, même dans l’ordre des sentimens publics et nationaux, gradation par nuances avec les années, acquisition croissante sans rupture, modification en mieux sans disparate et sans oubli.

L’enthousiasme littéraire, le seul que nous remarquons d’abord en lui, cette espèce de religion du beau, qui de plus en plus, en avançant, se fondera sur l’histoire, sur la comparaison des littératures, sur l’expérience des hommes et de la politique, ce premier enthousiasme eut quelques inconvéniens, quelques superstitions, comme tous les cultes. Je me hâte, comme on voit, d’entasser sur cette première période de M. Villemain toutes les critiques possibles, parce qu’en effet plus tard, bientôt, sa manière parfaite et achevée va échapper au jugement pour ne laisser que le charme. Un de ces inconvéniens, c’est, en écrivant sur les auteurs ou en touchant certaines idées religieuses, sociales, d’être trop tenté de prendre les choses ou les hommes par leur surface embellie, par