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POÈTES ET MUSICIENS ALLEMANDS.

tout musicien d’écrire un opéra fantastique : ce genre d’ailleurs s’accommode à merveille avec les exigences de la musique. Au plus vague, au plus indécis de tous les arts, il ne faut pas des caractères arrêtés, des formes précises et curieusement dessinées. Les personnages surnaturels lui conviennent bien mieux, tant par l’allure libre de leur nature, que par les accidens extérieurs et pittoresques, au milieu desquels ils se meuvent. La preuve, c’est que l’esprit le plus net et le plus clair de cette époque, l’homme le plus éloigné, par son instinct et par ses goûts, de toute conception obscure ou nébuleuse, Rossini, s’est laissé ravir d’amour pour le sujet de Faust. Le Jupiter olympien de la musique veut prendre dans ses mains et dans son cerveau, le poème du colosse de Weimar ; et ce sera curieux de voir Méphistophélès, ce diable si complet, se plonger en tant de verve et d’ironie, et sortir de la cuve tout frotté de musique, comme un serpent qui vient de faire peau nouvelle. La partition des Huguenots, œuvre héroïque dans laquelle se révèle à chaque instant, et d’une éclatante façon, la vive sympathie que l’auteur professe pour le système qui a créé Euryanthe, servira, mieux encore que Robert-le-Diable, à démontrer cette vérité : à savoir que désormais M. Meyerbeer, malgré lui peut-être, et sans se rendre compte, est préoccupé de l’œuvre de Weber. Voyez, à côté de Freyschütz, il a placé d’abord Robert-le-Diable, opéra fantastique ; à côté d’Euryanthe, partition héroïque, il apporte aujourd’hui les Huguenots. Laissez-le suivre la pente dans laquelle il s’est engagé, et bientôt soyez sûr qu’il inventera quelque gracieuse fantaisie en l’air, Oberon ou Titania, qui sait ? À de pareilles tentatives, on ne peut qu’applaudir, lors même qu’elles échouent. Ce qui, chez tout autre, passerait pour vanité frivole, n’est ici qu’une émulation louable et digne. On aime à voir un homme du talent de M. Meyerbeer se prendre à lutter avec un si redoutable athlète, et se donner pour but à lui-même de compléter ou de refaire l’œuvre de Weber, ce qui, je l’avoue, me paraissait au-dessus des forces du génie humain.

J’arrive à la partition des Huguenots, œuvre imposante et sévère, conçue dans des dimensions toujours élevées et quelquefois grandioses. Le style, cette belle partie du talent de M. Meyerbeer, se rapproche de celui d’Euryanthe, dont il a les ressources mystérieuses, les effets puissans, mais aussi la sécheresse et l’austérité rude.