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n’en prend jamais souci. Pour lui, Mozart est venu au monde avec Don Juan, Gluck avec Iphigénie en Tauride. Avant l’époque où ces merveilles se sont révélées, les deux grands hommes n’existaient pas. On lui a dit que Minerve était sortie tout armée du cerveau de Jupiter : depuis ce temps, il pense qu’il en est ainsi pour les hommes d’imagination.

Il est impossible de jeter un moment les yeux sur l’œuvre de M. Meyerbeer, sans voir de toutes parts les traces d’une persévérance obstinée que dirige une volonté de fer. Élevé par sa fortune au-dessus de ces considérations misérables qui poussent tant d’honnêtes gens à trafiquer de l’art comme d’une chose vile, M. Meyerbeer s’est fait musicien par une sorte de vocation. Timide et enthousiaste comme il est, il aura été attiré sur le bord de la carrière par quelque belle mélodie ; et peu à peu, de voluptés en voluptés, d’extase en extase, ravi par tant de voix si pures, enivré des parfums de la première fleur, qui sent toujours si bon, il se sera enfoncé plus avant qu’il ne voulait d’abord. Or, une fois en chemin, il n’est pas homme à reculer, même devant les plus ardentes épines et les graviers les plus aigus. C’est ainsi que j’expliquerai volontiers l’entrée et la course laborieuse de cet homme dans la carrière difficile de l’art. Ce qu’il y a de certain, c’est que depuis le commencement M. Meyerbeer poursuit son œuvre avec une conscience rare. Qu’il ait dans sa tête un plan bien arrêté, qu’il porte avec lui, comme Mozart, un vaste système de musique dramatique, ou comme Beethoven, une réforme instrumentale ; je ne le crois nullement. La preuve, c’est qu’il a rompu en visière, et de la meilleure grace du monde, avec ses premières sympathies. Il semble, avant tout, préoccupé du soin de sa renommée. Il veut de la célébrité, de la gloire ; c’est dans ce but qu’il avait pris d’abord la route italienne, et l’a désertée pour une autre, voyant que désormais elle ne mène plus qu’au néant. Dans le Crociato, on sent qu’il abandonnera bientôt cette terre de ses études et de ses hésitations premières. Robert-le-Diable est un pas fait vers l’Allemagne ; la partition des Huguenots, une rupture complète avec tout style mixte, toutes formules douteuses. M. Meyerbeer est redevenu Allemand ; le maître a revêtu son ancienne nature. C’est du fond de sa patrie que ses œuvres nous arriveront désormais. Retourner de Venise à Berlin,