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sauf toute idée d’offense, des papes au petit pied qui se croient infaillibles, et qui estiment que leurs idées valent des têtes. Beaucoup de ces esprits, dans le temps passé, qui pensèrent sauver la patrie par cette logique de sang, ne sauvèrent que leur orgueil ou ne se firent tueurs que pour n’être pas tués. Si l’un de ces théoriciens en qui le dévouement à tous, poussé jusqu’à vouloir la destruction des individus, n’est que l’ivresse d’une bonne conscience sans lumières, venait à lire ces lignes où j’exalte l’homme résistant au logicien, il rirait ou se blesserait peut-être de mes paroles. Aussi ce n’est point pour ces hommes, d’ailleurs si énergiques, et qui rendraient de si grands services aux nations s’ils avaient contre eux-mêmes et contre leur aveugle et cruelle foi un peu de ce courage qu’ils savent montrer contre l’ennemi, c’est pour la foule qui les écoute et qui pourrait être tentée de se laisser sauver par eux, que j’ai osé refuser pour Morus l’indulgence de l’historien équilibrant froidement ses prétendus crimes avec ses vertus et sa mort, pour ne demander que la stricte équité du moraliste qui ne fait point de ces compensations, et qui ne permet pas une gloire mêlée à qui peut avoir une gloire intacte. C’est pour toutes ces consciences incertaines, qui adorent la violence et qui lui rendent le culte de la peur, que j’ai osé dire qu’il y a plus de vrai courage, plus de supériorité d’esprit et de cœur, plus de gloire, à résister au droit qu’on a de frapper qu’à frapper sans pitié, à être inconséquent qu’à être logicien, et que du Morus falsifié par l’histoire au Morus de l’Apologie, il n’y a pas moins que la distance d’un homme vulgaire qui a un beau moment à un grand homme.

Mais la grandeur de Morus est principalement dans l’ordre moral, où les noms, moins éclatans, sont plus purs et plus aimés. Morus est un grand homme dans le rang des l’Hôpital, des François de Paule, des Boëce, des Socrate, grands esprits et grandes ames dont les titres sont moins dans les imaginations que dans les cœurs. Leur gloire est de celles qui appartiennent entièrement à l’homme, et qui ne sont que des victoires remportées intérieurement, dont le monde a eu connaissance.

Maintenant va commencer le martyre du juste. Les deux années qui lui restent encore à vivre ne sont plus qu’un long chemin au lieu du supplice, avec des stations dans un cachot. Il va passer devant nous, revêtu de sa robe blanche dont il a effacé la tache