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d’hérésie, il dit : « En ce qui touche les hérétiques, je déteste leur hérésie et non pas leurs personnes, et je voudrais de tout mon cœur que l’une fût détruite et les autres sauvées. Et combien il est vrai que je n’ai pas d’autre sentiment envers qui que ce soit, — quelque démenti que veuillent me donner les nouveaux frères, professeurs et prêcheurs de vérité, — vous pourriez le voir clairement et pleinement, si vous connaissiez tout ce que j’ai eu de bonté et de pitié pour eux, et tout ce que j’ai fait pour leur amendement, comme j’en pourrais produire des témoignages, si besoin était. »

Se peut-il qu’une confession si explicite, où il y a tant à apprendre sur l’homme et sur le temps, ait été ignorée, ou, si elle a été connue, n’ait pas été comptée au moins comme un témoignage à décharge ? De quoi faut-il accuser Burnet, Hume, Voltaire, Mackintosh, qui d’ailleurs se montre doux pour Morus ; Lingard, qui reste neutre, et qui omet ce qu’il n’a pas le temps ou le goût d’éclaircir ? De mauvaise foi ? d’ignorance ? d’indifférence ? Comment ose-t-on condamner un des plus grands personnages de l’histoire sans l’entendre ? Comment charge-t-on la mémoire d’un homme de meurtres qu’il n’a pas commis ? Comment dort-on tranquille quand on a jugé sans pièces ni témoignages ? Et, pour ne parler que du manque de curiosité, comment passe-t-on à côté d’un caractère si intéressant sans chercher à le pénétrer, à le comprendre, à trouver le lien de ses vertus et de ses fautes ? Comment ne montre-t-on de pareils hommes qu’à demi et par un côté, celui par lequel ils sont saisis et emportés par la fatalité commune, et laisse-t-on dans l’ombre d’une incertitude calomnieuse le côté par où ils ont été libres et bons, par où ils ont protesté contre cette fatalité ?

Mais sur quelle preuve ai-je osé, humble biographe, casser le jugement de si graves historiens ? Sur la parole écrite de Morus ? Depuis quand donc la parole d’un accusé est-elle une garantie suffisante de son innocence ? — Oh ! si la parole d’un accusé tel que Thomas Morus n’était pas un gage de vérité, si l’homme qui va mourir pour l’honneur de sa conscience n’est pas digne de foi quand il se défend d’avoir versé le sang, rien n’est vrai, rien n’est certain, ni du monde extérieur, ni de nous, ni de Dieu, ni de la morale, ni de la conscience, et l’histoire n’est qu’un puéril exercice de bel esprit et de rhéteur. Il faudrait répondre aux sceptiques ce que répondait Morus au Pacificateur, espèce d’inter-