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au mot comment ? ne demandez pas le comment dans les œuvres de Dieu ; la raison doit s’abdiquer devant la foi[1]. » Voilà le catholicisme de Morus. Pensez ce que doit être pour lui un hérétique. On tremble que la puissance de vie et de mort ne tombe aux mains d’un chrétien si absolu ! Ajoutez à cette ardeur de croyance la conscience la plus pure qui fut jamais, rien d’humain, rien d’intéressé, rien d’équivoque dans le cœur ; la pureté qui fait accomplir froidement à l’ange des œuvres de colère et de destruction ; un juge intérieur qui absout d’avance et qui rend toute responsabilité facile et sainte, même celle de tuer son semblable ! On frémit à l’idée qu’une sorte d’ivresse de conscience et de vertu ne s’empare du chancelier de l’Angleterre, l’homme le plus puissant après le roi !

En théorie nul n’était allé plus loin que Morus. L’hérésie est le plus grand des crimes[2]. L’hérésie, au double point de vue des lois spirituelles et des lois temporelles, est justement assimilée au crime de haute trahison. Dans l’un comme dans l’autre crime, comme en matière de meurtres et de félonie, l’audition des témoins est légale[3]. Ainsi, on peut être dénoncé pour crime d’hérésie, et les délits latens d’opinion sont soumis à la même procédure que les crimes matériels. Les hérétiques sont pires que les Turcs, les Juifs et les Sarrazins[4]. Le brûlement des hérétiques est légal, nécessaire, juste[5]. Le clergé n’a pas tort de livrer les hérétiques au bras séculier, lors même que mort s’ensuit. Les princes sont tenus de châtier les hérétiques, et de même qu’ils ne doivent pas souffrir que leurs peuples soient envahis par les infidèles, de même ils doivent empêcher que ces peuples soient séduits et corrompus par les hérétiques. « Car il y aura, en peu de temps, un double danger ; d’abord, que les ames ne soient enlevées à Dieu ; ensuite, que les corps ne soient perdus et les biens détruits par la sédition, l’insurrection, les guerres ouvertes, dans le cœur même de leur royaume[6]. »

  1. English Works, 1052 G.
  2. Ibid., 866 D.
  3. Ibid., ch. xii de l’Apologie, p. 910 D.
  4. Ibid., 382 GH.
  5. A Dialogue concernynge heresyes, 274 H.
  6. id., 279 D.