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THOMAS MORUS.

tervalle, qui se dérobe aux mesures ordinaires, il y a la place d’une des plus belles gloires et des plus rares qu’il ait été donné à l’homme d’acquérir, celle d’un logicien qui recule devant sa propre logique, quand cette logique lui dit de verser du sang, et qui préfère son innocence à sa foi.

Les opinions de Thomas Morus touchant l’église catholique devaient l’amener à haïr les dissidens, et cette haine à faire tomber leurs têtes. On va voir par sa profession de foi quel effort dut faire l’homme bon pour triompher du catholique dogmatique, et quelle douloureuse et noble lutte s’engagea en lui, au moment suprême, entre la nature et la loi.

Morus est le catholique de la tradition des conciles, le catholique selon le cœur de saint Thomas, qu’il appelle « la fleur de la théologie[1]. » Pour lui, l’église représentée par le pape et les conciles est infaillible ; elle ne peut se tromper, ni se méprendre sur le sens des Écritures ; elle ne peut perdre la vérité ni faillir dans la connaissance des lois de Dieu ; elle connaît tout ce qui est écrit et tout ce qui n’est pas écrit ; elle est éternelle, elle durera toujours. Tout ce qui est émané de ses organes légitimes, le pape et les conciles, est venu directement de Dieu. Morus ne fait aucune concession aux catholiques avec amendement, tel qu’était Érasme. Il n’abandonne aucun point de la croyance, parce qu’il sait que c’est rompre la chaîne que d’en détacher un seul anneau. Il défend tout, baptême, communion, vœux, confession, adoration des saints, culte de la Vierge, tous les sacremens, tout, jusqu’à l’eau bénite, jusqu’aux cérémonies qui touchent à la superstition, et sur lesquelles tant de prêtres d’alors croyaient de bon goût et de bonne politique de transiger avec les incrédules. Il défend le purgatoire ; il explique la transubstantiation dans le sens rigoureux et traditionnel : « C’est le corps et le sang de Jésus-Christ que nous mangeons et buvons dans l’eucharistie. » Selon lui, la confession est indispensable pour le salut ; elle a été instituée par Dieu[2] ; Dieu est spécialement présent dans la confession. La foi, une foi ardente, exclusive, étendue à tout, surveillant la raison, la traitant en ennemie, anathématisant la curiosité comme une tentation du diable, disant : « Prenez garde

  1. English Works, 679 G.
  2. Ibid., 250 A.