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lière que, sous sa chancellerie, personne ne perdit la vie pour les nouvelles croyances, quoiqu’il y eût, dans les deux Germanies et en France, de nombreux exemples de gens punis pour ce fait du dernier supplice[1]. »

Cette affirmation si positive me rendit toute mon ardeur. J’avais à opposer à Burnet, prélat protestant, écrivain sage, mais intéressé à charger les portraits des persécuteurs de l’église naissante d’Angleterre, le témoignage d’Érasme, mi-catholique, mi-protestant, peut-être d’une parole moins vérace et moins sûre que celle de Morus, mais généralement plus porté à atténuer qu’à mentir, à expliquer qu’à nier, et qui pouvait si bien trouver dans l’entraînement de l’époque, dans les violences matérielles des protestans, dans leur double caractère de rebelles et de novateurs, de quoi pallier les rigueurs de son illustre ami. Érasme était tout près de l’évènement ; il avait un commerce suivi de lettres avec Morus et ses amis. Il savait, il devait savoir tout : quel intérêt avait-il à nier un fait de notoriété universelle, lui surtout qui ne nie rien et qui n’affirme pas grand’chose ? Burnet, à plus d’un siècle de là, allègue le fait contraire. Où a-t-il pris ses preuves ? Il n’en cite aucune. Certes, si ce n’était pas assez des paroles graves d’Érasme pour m’inscrire en faux contre l’opinion commune, c’était assez pour la suspecter. Je recommençai donc mes recherches, je me plongeai de nouveau dans l’in-folio de théologie écrite en anglais qu’a laissé Morus, et que Burnet n’a certainement lu qu’avec distraction, et j’y trouvai sur le fait en litige, et en général sur la nature des croyances religieuses de Morus, les élémens de l’opinion qu’on va lire.

Si l’historien avait le droit de conclure des opinions aux actions, et de ce qu’un homme approuve à ce qu’il a dû faire, certes Morus pourrait avoir commis tous les meurtres judiciaires que lui impute Burnet, et bien d’autres encore. Mais entre la parole et le fait, entre le jugement intérieur de l’homme et l’arrêt exécutoire du magistrat, entre la main qui écrit et la main qui frappe, il y a une distance énorme que l’historien doit voir et apprécier ; car ce peut être la distance d’une erreur d’esprit à un crime, d’un abus de logique à un abus de pouvoir, d’une faiblesse à une cruauté. Dans cet in-

  1. P. 1811 AB.