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actions de leur vie, ne sont tout au plus présens qu’aux principales. Comme ils se renouvellent sans cesse, il leur arrive souvent de se contredire, si un tel mot n’est pas trop dur, appliqué à l’homme dont la nature n’est que contradiction et mystère. Tel était Érasme ; mais tel n’est point Morus. Sauf dans les dix années données aux lettres et au soin de la fortune, où cet esprit si concentré est un moment mêlé à tout le monde, et plie sous ce vent de réforme et de doute qui soufflait sur toute l’Europe, Morus représente le catholique immuable, restant debout au milieu de la chute de l’église universelle, comme Caton sur les ruines de la vieille république. Plus il avance dans la vie, plus il se retire en lui et se simplifie, plus il enlève de ses actions et de ses pensées aux influences extérieures, plus il se concentre dans sa foi, plus il présente d’unité.

Outre l’ardeur catholique, une autre chose distingue Morus et rend aimable l’austère polémiste de l’église de Rome, c’est la bonté, aussi constante que la foi, et qui devait empêcher la foi de devenir cruelle ; une bonté encore plus de réflexion que d’abandon naturel, une sorte d’équité bienveillante, appliquée à toutes les choses de la vie. Dans l’histoire de Morus, l’homme bon et le catholique fervent marchent du même pas, l’homme bon pour tempérer le catholique fervent, celui-ci pour préserver celui-là des faiblesses et des chutes.

C’est sous ce double aspect que Morus m’était apparu tout d’abord, dès mes premières recherches, et c’est encore le catholique inflexible et l’homme bon que je retrouve après toutes mes lectures achevées, dans ce travail si plein de charme où ces mille notes confuses prennent un corps, un visage et une ame que j’aime comme s’ils étaient d’un ami. Plein de mon idée, j’éprouvai au début une de ces angoisses que connaissent, pour avoir passé par là, ceux qui poursuivent dans des recherches historiques la découverte d’une vérité, d’une convenance entre les actions d’un personnage et son caractère, d’une de ces harmonies éternelles de la nature humaine qui se dérobent souvent à une première vue sous les ténèbres des témoignages contradictoires. Où trouver la part de l’homme bon dans ces supplices reprochés à Morus par Burnet, par Voltaire, par Hume, par le grave Mackintosh, si judicieux et si calme, qui explique le reproche, mais qui l’admet ? Je relus des choses déjà lues, je repassai par les mêmes traces, sans succès d’abord pour mon idée de prédilection, sinon pour quelques parties acces-