Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/66

Cette page a été validée par deux contributeurs.
62
REVUE DES DEUX MONDES.

était frappé et choqué surtout, dans les écrivains sérieux, déjà nommés, que nous avait légués le xviiie siècle, de certaines phrases lourdes, chargées, abstraites, et trop dénuées de l’analogie rapide et naturelle. Il ne se sentait attiré avec charme que vers cette première fleur du beau siècle de l’éloquence. La tradition des principes philosophiques et de l’enthousiasme politique par où débutèrent tant de jeunes esprits d’alors ne lui arriva point. Bien des anecdotes piquantes de Suard et de Fontanes lui offrirent, avant tout, des coins d’arrière-scène et quelque dessous de cartes, plus qu’elles ne lui inspirèrent le culte de certains hommes et de certaines idées. Ce qu’il connut bien vite, ce qu’il goûta et saisit aisément du xviiie siècle, ce fut le côté mondain, la façon spirituelle, sceptique, convenable toujours, l’aperçu vif, court, net, délibéré, léger quelquefois, sensé en courant, moqueur avec grace ; en un mot, M. Villemain de bonne heure entendit causer et causa. Sur ce point, une part de l’héritage de Delille est en lui. Le comte Louis de Narbonne l’avait pris en grande amitié chez lui, chez la princesse de Vaudemont, dans ce monde, le jeune écolier qu’on savait si docte, qu’on trouvait de propos si étourdi et si piquant, était fort goûté et n’avait qu’à recueillir des succès dus tout entiers à l’esprit. Lorsqu’il fut devenu aide-de-camp de l’empereur, M. de Narbonne voulut lui être un protecteur actif. Il alla un jour l’entendre à une des conférences de l’école normale. En 1813, l’éloge de Duroc fut commandé à M. Villemain, comme celui de Bessière à Fabre : « Puisqu’il ne veut rien, avait dit l’empereur de ce dernier, au moins il ne me refusera pas cela. » M. Villemain, qui cédait de meilleure grace à la faveur, ne gardait pas moins sa liberté de saillie et sa capricieuse allure. Un jour M. de Narbonne lui parlait de quelques mots jetés à l’empereur sur l’éducation du roi de Rome ; une autre fois il lui touchait une idée qu’avait l’empereur de réformer les auteurs classiques, semés de maximes et de principes qu’il faudrait élaguer avec art : « Dites-lui donc, répliquait le jeune homme de goût, que César ne s’avisa jamais de donner d’édition abrégée de Cicéron. » Et il ne fut plus reparlé de cela. À M. de Fontanes attristé en 1813 et prédisant déjà le retour de l’anarchie au bout du désastre de l’empire : « Eh bien ! non, répondait-il ; nous aurons la liberté anglaise. » Il aimait dès-lors et pressentait le genre d’éloquence anglaise, parlementaire, par instinct d’orateur