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THOMAS MORUS.

inévitables bons mots dont Morus farcit tous ses ouvrages, une certaine colère s’y fait sentir, sourde et cachée ; et, pour parler comme Érasme, la superstition s’y montre déjà plus que la foi. C’en est fait, Morus n’est plus libre. Il commençait à se passionner plus contre les hommes que pour la cause, ce qui n’était qu’un signe trop certain que cette belle et noble intelligence allait glisser de la foi dans le fanatisme. Morus était arrivé à cette limite suprême du raisonnement, où l’idée de contraindre ses adversaires par la force se mêle à l’idée de les convertir par la raison, et où il semble que la main qui tient la plume soit impatiente de prendre la hache. Il était chancelier d’Angleterre et l’homme le plus puissant du royaume après le roi : allait-il être tenté de déployer la force ? Allait-il se souiller par des meurtres ? L’humilité de plus en plus croissante du chrétien n’allait-elle être pour Morus, comme pour tant d’orthodoxes impitoyables, qu’un leurre de la conscience qui cache à l’homme l’orgueil de son esprit ? La postérité devait-elle dire de Morus, assassiné juridiquement par Henry viii, que, comme il avait tiré l’épée, il devait périr par l’épée ? Mais ne précipitons pas le récit.

C’est dans les courts instans de relâche que lui laissait sa place de chancelier, accrue à dessein, comme je l’ai remarqué, de mille devoirs inconnus à ses prédécesseurs ; c’est la nuit, dans le temps pris sur son sommeil, que Morus écrivait ses réponses à Tyndall. Elles étaient fort lues et fort goûtées. Morus s’y dédommageait-il secrètement, par d’ardentes professions d’orthodoxie catholique, du silence qu’il gardait sur la légalité religieuse du divorce, et n’était-il pas bien aise qu’on devinât, par l’intégrité de sa foi sur tous les autres points, ce qu’il devait penser sur le seul point particulier où il se tût ? Ou bien voulait-il, en se renfermant dans les choses de pur dogme, se faire libérer de toute compétence en une matière mêlée de politique, et, par ses immenses travaux, comme magistrat et comme antagoniste des protestans, faire croire à l’Angleterre qu’il ne pouvait pas avoir un avis dans une affaire qu’il n’avait pas le temps d’étudier ? Quoi qu’il en soit, l’impression générale qui resta de ses écrits, fut que l’homme qui savait si bien lire au fond des choses sacrées, était le seul capable de résoudre les contradictions des textes, dans la question du divorce. Plus Morus faisait d’efforts pour échapper à la compétence que lui déférait