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Luther. Divers ouvrages de doctrine l’avaient signalé depuis ce débat au ressentiment des réformés. Avant son élévation au poste de chancelier, il avait publié une réponse ingénieuse et pleine de verve à un ouvrage contre les moines, qui avait pour titre la Requête des pauvres. Ceux-ci se plaignaient dans ce livre que les charités qui leur devaient revenir fussent dévorées par les moines fainéans. Ils opposaient les besoins des vrais pauvres à la grasse oisiveté de ces pauvres de nom, et, poussant l’attaque jusqu’au saint-siége, ils prétendaient que les papes étaient condamnables, puisqu’en n’ouvrant le purgatoire qu’à ceux qui faisaient des dons, ils en excluaient les ames des pauvres tant affectionnés du Christ. La réponse de Morus était une sorte de contre-requête des ames du purgatoire. Il y décrivait les souffrances de ces ames, et le bien que leur faisaient les messes des moines. Il défendait avec beaucoup de preuves la croyance au purgatoire que la Requête des pauvres mettait en doute. Il importait à l’avocat des moines de sauver le purgatoire, dans l’institution duquel ceux-ci jouaient le rôle d’intermédiaires entre les ames rachetables et Dieu. Morus fut réfuté. Il riposta. La prose anglaise y gagnait, à défaut d’autre résultat solide. Morus la manie dans ces écrits avec fermeté, vivacité, quelquefois avec éclat, et, sous ce tissu de phrases longues, chargées d’incidentes, manquant de proportion et de grace, on voit se former cet idiome anglais dont la liberté fera une des plus belles langues politiques qu’aient parlées les hommes.

Depuis cette première querelle, la dispute était devenue plus générale. Des réformés anglais, retirés à Anvers pour échapper à la justice sévère dont les conciles armaient les évêques, inondaient l’Angleterre de livres et de pamphlets où tout le catholicisme romain était bouleversé. L’un des plus hardis, Tyndall, avait fait grand bruit par un ouvrage qui touchait avec scandale à tous les points de la foi. Morus, alors chancelier d’Angleterre, entama avec lui une polémique qui ferait la matière de six volumes. Une moitié seulement parut pendant qu’il était chancelier ; l’autre ne fut écrite et publiée qu’après sa sortie de charge. Les questions y étaient traitées avec plus de doctrine, de profondeur et de sévérité, que dans la Requête des ames du Purgatoire, ouvrage qui sent plus la plaidoirie que la théologie. Quoiqu’on retrouve dans la réfutation du livre de Tyndall ce sel grossier, cette ironie plus vive que délicate, et ces