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THOMAS MORUS.

femme. Il prit le chien dans ses mains, et faisant placer lady Morus au haut bout de la salle, à cause de son rang, et la pauvre femme au bas bout, il leur dit à toutes deux d’appeler le chien. L’animal, entendant la voix de sa première maîtresse, courut aussitôt à elle ; alors Morus dit à sa femme qu’elle s’en consolât, car le chien ne lui appartenait pas. Mais comme celle-ci réclamait contre ce jugement, le chancelier acheta le chien à la pauvre femme trois fois sa valeur, ce qui mit tout le monde d’accord.

N’étant encore que sous-sherif de la Cité de Londres, il avait remarqué, en assistant aux sessions de Newgate, un vieux juge qui grondait toujours les pauvres gens dont on avait coupé la bourse, disant que c’était leur faute si l’on voyait tant de voleurs aux assises. Morus envoya chercher un des plus habiles coupeurs de bourse de la prison de Newgate, et lui promit de parler pour lui s’il voulait enlever la bourse du vieux juge, à l’audience du lendemain. Le voleur consentit à tout. Le lendemain, au commencement de la séance, son affaire est appelée. Il dit qu’il est sûr de prouver son innocence, si on lui permet de parler en particulier à l’un des juges. On lui demande lequel. Il désigne le vieux censeur des gens volés. À cette époque, on portait sa bourse suspendue à la ceinture. Pendant que penché à l’oreille du juge, il l’amusait par des aveux, il lui coupe habilement sa bourse, et revient à sa place avec beaucoup de solennité. Morus, prenant alors la parole, demande aux juges de vouloir bien faire l’aumône à un pauvre diable qui était là, accusé sans doute de vagabondage. Lui-même donne l’exemple. Tous les juges mettent la main à leur bourse. Le bonhomme, ne trouvant pas la sienne, s’écrie qu’on la lui a volée, qu’il l’avait sur lui quand il s’est mis à son banc. — « Eh quoi ! dit plaisamment Morus, est-ce que vous accuseriez quelqu’un d’entre nous de vous avoir volé ? » — Le bonhomme commençant à se fâcher, Morus fait appeler le filou, lui reprend la bourse, et la rendant au vieux juge : « Je puis vous conseiller, dit-il, d’être moins sévère pour les pauvres gens qui se laissent couper leur bourse, puisque vous-même vous ne savez pas garder la vôtre en pleine audience[1]. »

Outre ses devoirs judiciaires, Morus continuait en son nom la polémique religieuse qu’il avait engagée sous un nom supposé avec

  1. Life of sir Th. Morus, by his grandson, p. 37 et 177.