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THOMAS MORUS.

ses derniers momens fussent troublés par la crainte de cette chute à laquelle le successeur de Wolsey se tenait prêt.

À peine Morus fut-il en possession de sa charge que le roi vint lui en demander le prix. Ce prix, c’était de se prononcer pour le divorce. Henry usa d’adresse. Au lieu d’exiger une adhésion immédiate, il se contenta de recommander la matière à ses méditations, comme s’il se fût agi, non pas d’ouvrir à la maîtresse le lit de la femme légitime, mais de mettre d’accord le Lévitique avec saint Paul. Morus, qui comprit où en voulait venir le roi, se jetant à ses genoux, le pria de lui continuer ses bonnes graces d’autrefois, ajoutant que rien au monde n’avait été si sensible à son cœur que de ne rien trouver dans cette affaire où sa conscience lui permît de satisfaire sa majesté. Il lui rappela le serment qu’il lui avait fait tenir, en le prenant à son service, de penser d’abord à Dieu, et, après Dieu, au roi, ce qu’il avait toujours fait et ferait toujours. Henry, déconcerté, le releva, et, cachant son dépit sous des paroles de bienveillance, il lui répondit très gracieusement que, s’il ne pouvait pas, en conscience, le contenter sur cela, ses services lui seraient toujours agréables en toute autre chose ; il ajouta que tout en prenant, sur cette question, les avis de ceux de ses conseillers dont les consciences pouvaient s’accorder avec son sentiment, il lui garderait sa faveur accoutumée, et ne le troublerait plus de ce sujet. Morus, un moment délivré, se concentra dans les devoirs judiciaires de sa charge. Il n’assistait jamais aux conseils où s’agitait la redoutable question du divorce, et ne prenait aucune part à la direction générale des affaires, abaissant cette haute position de chancelier que Wolsey avait élevée au niveau du trône, se mettant à l’ombre, dérobant derrière le magistrat affairé le catholique austère de qui l’Angleterre attendait une opinion, s’effaçant, s’annulant, comme s’il eût senti qu’il s’était laissé placer trop haut pour que la neutralité lui fût permise dans une question qui agitait toute l’Europe. Mais Morus était un de ces hommes qui ne peuvent pas se cacher, et dont la conscience, ayant long-temps réglé celle du public, ne peut se taire dans les momens graves sans être interpellée de toutes parts. Il allait être trahi par l’estime de toute l’Angleterre, et, quoiqu’il n’eût laissé rien voir de sa pensée, il était à croire que l’opinion publique, habituée à y lire, ne permettrait pas au roi de ne pas s’inquiéter de son silence. Tel était le malheur de sa