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THOMAS MORUS.

à bonne fin[1]. » Sur cette question du divorce et du mariage il s’était toujours abstenu de donner une opinion formelle, encore plus par charité chrétienne que par prudence ; mais comme il avait une conscience où chacun pouvait lire et entendre sans qu’il parlât, Roper comprit bien ce que signifiait ce vœu discret d’une bonne fin.

C’était la première fois qu’on voyait les sceaux d’Angleterre donnés à un homme qui n’était ni noble ni prélat. Il fallut justifier cette nouveauté. Ce fut le duc de Norfolk, chef nominal du nouveau conseil, et chargé en cette qualité d’installer Morus, qui se chargea de montrer par combien de vertus et de savoir le nouveau chancelier compensait le désavantage de son peu de naissance et de son état de laïc. Il fit cette remarque, qui n’était pas sans habileté, dans un parlement où le mariage de Henry comptait de nombreux opposans, que le monarque avait voulu, par le choix de Morus, témoigner à la chambre des communes qu’il savait bien trouver sur ses bancs à qui confier des fonctions réservées jusque-là aux évêques et à la noblesse. Morus répondit par d’humbles remerciemens. « Il avait été forcé, comme sa majesté se plaisait à l’avouer, d’entrer à son service et de devenir courtisan. De toutes les dignités dont on l’avait comblé, la dernière et la plus haute de toutes était celle qu’il avait le moins désirée et qu’il acceptait avec le plus de répugnance. Mais telle était la bonté du roi qu’il tenait compte du dévouement du moindre de ses sujets, et qu’il récompensait avec magnificence, non-seulement ceux qui en étaient dignes, mais ceux même qui n’avaient pour tout mérite que le désir d’en être dignes. » Ces paroles, semblables en apparence à celles de tous les ambitieux qui semblent se résigner à ce qu’ils ont le plus envié, ces paroles étaient sincères et nobles dans la bouche de Morus, et peut-être y avait-il dans cette phrase, où il prenait le roi en témoignage de sa résistance à sa propre fortune, une vague prière de ne pas trop lui demander pour des fonctions acceptées surtout par obéissance.

Son langage fut sublime, de convenance et de courage, lorsque, se retournant vers le siége où il allait s’asseoir, et d’où Wolsey était tombé, il dit avec une émotion qui passa dans toute l’assemblée :

« Mais quand je regarde ce siége, et que je considère quels grands personnages s’y sont assis avant moi ; quand surtout je me

  1. Life of sir Th. Morus, by his grandson.