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pas toujours voulu et pour n’y avoir pas réussi après s’y être entremis. On cherchait qui pouvait le remplacer dans le titre et les fonctions de chancelier, le seul poste dont le roi n’eût pas disposé dès l’abord en formant la nouvelle administration. On ne voulait plus d’un homme d’église ; Wolsey avait dégoûté de ces sujets de deux maîtres, qui presque toujours vendaient l’un à l’autre. « Je crois bien, disait l’évêque de Bayonne, ambassadeur de France à Londres, que les prêtres ne toucheront plus aux sceaux. » Henry en était las ; outre qu’un haut dignitaire ecclésiastique eût été déplacé dans une administration nommée contre le pape, et dont le chef réel, dit malignement le même évêque, « était par-dessus tout mademoiselle Anne. » Le roi jeta les yeux sur Thomas Morus, qui fit la faute d’accepter, en homme habitué à se laisser pousser où on avait besoin de lui, et à recevoir son ambition même de la main d’autrui. On le choisit à deux fins, d’abord pour conjurer le parlement, avec qui l’on allait avoir de grands démêlés, ensuite pour attaquer sa conscience par sa reconnaissance. Il entra dans le ministère, avec une opinion arrêtée contre le divorce qui devait en être l’unique affaire, espérant peut-être que le roi serait guéri de sa fatale passion par l’impossibilité d’y convertir son royaume. Aussi bien, une première fois, Henry avait cessé un moment de voir Anne de Boleyn, et témoigné le désir de revenir à la reine.

Morus apportait aux affaires un esprit fatigué et une ame profondément triste. Au dehors, les guerres entre la France et l’Empire, les progrès de la réforme, les déchiremens de l’Allemagne ; au dedans, cette malheureuse question du divorce, le remplissaient de soucis et de pressentimens. Un jour qu’étant à Chelsea il se promenait avec Roper sur les bords de la Tamise, il prit tout à coup le bras de son gendre, et lui montrant le fleuve : — « Il y a trois choses que je voudrais voir arriver, fils Roper, dussé-je à ce prix être mis dans un sac et jeté dans cette rivière. — Quelles sont donc ces choses, dit Roper, pour lesquelles vous donneriez votre vie ? — Écoutez-moi, fils : en premier lieu, je voudrais qu’au lieu de la guerre qui divise en ce moment tous les princes chrétiens, nous eussions la paix universelle ; en second lieu, que l’église du Christ, en ce moment déchirée par les hérésies, rentrât dans l’unité de la foi catholique ; en troisième lieu, que le mariage du roi, qui cause tant de discussions, fût, pour la gloire de Dieu et la tranquillité de tout le monde, mené