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de curé de campagne en Bretagne. Mais la difficulté d’une double langue en ce pays et aussi la sévérité des habitudes catholiques dans lesquelles l’amour humain chez le prêtre n’a point d’expression permise, n’ont pas laissé naître et grandir jusqu’à l’état de littérature ces instincts poétiques étouffés des pauvres clercs. Jocelyn est notre premier curé de campagne qui ait chanté.

Jocelyn, remarquons-le bien, chante, tant qu’il n’est pas tout-à-fait guéri encore ; il chante, tant que l’image de Laurence le trouble et continue de partager son cœur. Ce qu’il nous raconte, ou plutôt ce qu’il raconte à sa sœur et ce qu’il se rappelle à lui-même, ce n’est pas vieux et apaisé qu’il y revient ; depuis cette dernière maladie à laquelle il manque de succomber, peu après la mort de Laurence, le manuscrit cesse. Jocelyn guéri a vécu de longues années encore, et il s’est tu, ou du moins il n’a plus repassé ses douleurs. L’amitié du Botaniste a pu les ignorer jusqu’au moment où Marthe l’a aidé à retrouver ces papiers anciens qui n’étaient point destinés à survivre. La vraisemblance catholique du poème est ainsi sauvée. Si dans le Jocelyn que nous possédons, on aperçoit jusqu’à la fin quelque trait d’amour trop tendre, ce reste de faiblesse a dû être corrigé durant les longues années suivantes, par cette vie toute pratique, de laquelle le Botaniste nous a dit :


La douleur qu’elle roule était tombée au fond ;
Je ne soupçonnais pas même un lit si profond ;
Nul signe de fatigue ou d’une ame blessée
Ne trahissait en lui la mort de la pensée ;
Son front, quoiqu’un peu grave, était toujours serein,
On n’y pouvait rêver la trace d’un chagrin
Qu’au pli que la douleur laisse dans le sourire,
À la compassion plus tendre qu’il respire,
Au timbre de sa voix ferme dans sa langueur…


À la fin des lettres de Jocelyn à sa sœur, après tous ces détails journaliers de prière, de travail, de charité, le curé de Valneige se représente, la nuit, veillant, agité encore, lisant tantôt l’Imitation, tantôt les poètes :


Dans mes veilles sans fin, je ressenble, ô ma sœur,
À ce Faust enivré des philtres de l’école, etc., etc.