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à toutes les époques certains esprits honnêtes ou impatiens, pour se consoler de ne pas voir même le bien relatif dans le monde où ils vivent. Voici l’analyse sommaire de ce singulier livre.

Morus suppose qu’étant à Anvers, adjoint à Cuthbert Tunstall, dans une ambassade auprès de Charles v, il rencontrait souvent chez un ami un certain Raphaël Hythlodæus[1], autrefois compagnon d’Améric Vespuce, qui avait beaucoup voyagé et beaucoup vu. Les conversations roulaient sur des points de philosophie, sur les malheurs qui affligent l’humanité, sur les moyens de rendre les hommes meilleurs, les gouvernemens plus équitables, les vols moins communs. Cette question du vol fut l’objet d’un entretien spécial. Hythlodæus en indique deux causes principales qui peignent le temps. La première, c’est la quantité de soldats blessés qui ne peuvent ni travailler à la terre, ni exercer les professions mécaniques, et qui sont réduits à voler pour vivre ; la seconde, c’est la quantité de valets ayant appartenu à des nobles, « guêpes qui vivent dans la fainéantise sans produire une goutte de miel. » Dès que le maître est mort, cette nuée de valets congédiés tombe dans la misère, et fait la guerre aux passans pour manger. Après l’examen de ces causes, Hythlodæus discute les châtimens. L’Angleterre d’aujourd’hui pourrait encore s’appliquer ces sages paroles : « Personne ne devrait ignorer combien il est absurde de punir le vol de la même peine que l’homicide. Si le voleur sait qu’il ne court pas un moindre risque en se bornant à voler qu’en ajoutant le meurtre au vol, il égorgera le malheureux qu’il se serait contenté de dépouiller ; car, outre que le danger pour lui n’est pas plus grand, il a une chance de plus d’impunité, en faisant disparaître le témoin de son crime. » À la peine de mort pour le vol, Hythlodæus substitue un système de châtimens qui a beaucoup d’analogie avec les travaux forcés. Il parle d’un certain pays tributaire de la Perse où on leur coupe une oreille. — Si c’est là le système de Morus, son humanité est encore bien timide.

Hythlodæus conclut par dire que la société ne sera jamais bien gouvernée tant que subsistera le droit de propriété. Les interlocuteurs de cet entretien imaginaire se récrient, et Morus, qui s’y est donné un rôle, réfute l’idée d’Hythlodæus, surtout comme imprati-

  1. Τθλος, babil, enfantillage ; δέουι, avoir besoin de.