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THOMAS MORUS.

trouées, comme le lui fit remarquer un jour son secrétaire Harris. La jeune femme mourut en mettant au monde son quatrième enfant. Le célibat ne convenait plus à Morus, père de quatre enfans en bas âge, et déjà chargé d’affaires. Au bout de deux ans, il se remaria, non par concupiscence, dit Érasme, car la femme qu’il prit était veuve, laide et déjà d’âge, mais pour donner à ses enfans une mère de famille active et vigilante ; Ce fut mistress Alice Middleton, femme un peu mondaine, qui se moquait de la piété de son mari, « qui était avare d’un bout de chandelle, dit Morus, et gâtait en une fois la plus belle robe de velours, » qui faisait la guerre à son désintéressement d’avocat, et lui voulait donner de l’ambition pour ses enfans ; en somme, femme de cœur, dévouée, qu’il aima aussi solidement, sinon aussi tendrement, que Jeanne Colt, qui était charmante, s’il en faut croire Érasme[1]. Morus traita toujours mistress Alice avec bonté, quoiqu’il y ait sujet de croire que ce fut elle qui lui inspira sa comparaison, si plaisante et si connue, du mariage à un sac rempli de serpens, parmi lesquels se trouve une anguille. Alice Middleton ne lui donna pas d’enfans.

Sa réputation d’avocat, et son crédit dans le corps des marchands, où il avait acquis une grande autorité par son intelligence des contentions commerciales, le firent nommer membre de la chambre des communes. Il résista en plein parlement au roi Henri vii, qui demandait un cadeau de noces pour sa fille. Déjà une première fois, pour un simple scrupule religieux, appelé subitement par le prince au moment où il assistait à la messe, il avait refusé de se rendre au palais, disant que le service de Dieu devait passer avant le service du roi. Cette indépendance de l’imberbe enfant, comme l’appelait le chambellan du roi, M. Tiler[2], l’avait mis mal en cour. Menacé dans sa liberté, frappé dans la personne de son père, que le roi fit incarcérer à la Tour, pour un prétendu déni de justice, puis rançonner, ce qui était la cause et la fin de tous les démêlés des sujets avec le roi, Morus, pressé par ses amis, s’embarqua pour la France. Il attendit là quelque temps que l’orage fût passé, apprenant la langue française, l’arithmétique, la géométrie ; quelquefois se désennuyant de l’exil à jouer de la viole,

  1. Suavissima illius conjux. L. 238 A.
  2. Life of Morus, by his grandson.