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les poètes, prêta toutes les beautés de ses dieux à Henry viii. Il eut la majesté de Jupiter, la sagesse de Minerve, la valeur de Mars, invariables flatteries, ou invariables satires de tous les rois nouveaux arrivans dans l’Europe, pendant plus de deux siècles que régna la mythologie.

La plus curieuse de toutes ces pièces est celle dont je vais traduire quelques passages[1]. On y trouve une critique assez énergique du règne précédent ; un esprit honnête, sérieux, indépendant, s’y cache sous les banalités d’usage, et le conseil y suit de près la flatterie. En lisant, ou en se faisant lire ces vers, Henry viii dut rougir pour son père. Sous ce rapport, cette pièce manquait trop de convenance pour n’être pas d’un auteur honnête homme. Un flatteur ordinaire eût trouvé moyen de louer le fils sans attaquer le père ; l’auteur de cette pièce n’attaquait peut-être le père que pour donner une leçon au fils.

Après un début commun sur la félicité de l’Angleterre, le poète oppose au tableau de la joie du peuple le contraste des misères du règne précédent.

« La noblesse, depuis long-temps exposée aux injures de la populace, relève aujourd’hui la tête, et triomphe sous un tel roi ; et elle en a sujet ! Le marchand, effrayé naguère par la multitude des taxes, lance de nouveau ses navires sur les mers dont ils avaient désappris les chemins… Tous les citoyens se réjouissent, tous comptent sur les biens à venir pour se dédommager des pertes passées. Les richesses que la peur avait enfouies dans d’obscures cachettes, chacun se plaît à les montrer au grand jour, et ose être riche… La crainte ne murmure pas tout bas à l’oreille des mots mystérieux ; personne n’a sujet de se taire ni de rien dire tout bas. Il y a plaisir à mépriser les flatteurs, et nul ne craint la délation, s’il n’a pas été lui-même délateur… »

Suit une peinture de l’empressement universel, des rues encombrées de peuple, des fenêtres et des toits garnis de spectateurs, des curieux qui vont attendre le cortége à différens endroits pour voir encore le roi qu’ils ont déjà vu[2] ; puis un portrait du roi, « le plus aimable objet qui soit sorti des mains de la nature. Il sur-

  1. Cette pièce est en distiques latins ; elle a environ deux cents vers.
  2. Nec semet est vidisse satis, loca plurima mutant,
    Si quâ rursus eum parte videre queant.