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que tous ces biens venaient de sources impopulaires : la tranquillité du royaume d’une politique extérieure sans gloire ; la fermeté de l’administration d’un despotisme cruel ; le bon état des finances de trente ans d’avarice et d’extorsions. La nation anglaise avait pour ce prince le sentiment d’un héritier pour un parent qui ne lui a laissé son or que faute de pouvoir l’emporter dans la tombe. Sur la fin de sa vie, Henry n’amassait plus que pour conserver ses angelots d’or dans ses coffres. Les Anglais savaient d’ailleurs, dès ce temps-là, que les peuples qui enrichissent les rois avares, n’en sont jamais les seuls héritiers, et qu’il y a toujours entre eux et l’héritage un légataire universel qui prend la part du lion. Toutefois les vieillards ne se souvenaient pas d’avoir vu un roi plus beau, plus brillant, auquel les biens terrestres convinssent mieux, que le jeune prince appelé pour la première fois depuis tant d’années, par la loi naturelle d’hérédité, à monter sur le trône de l’Angleterre. Un héritage de dix-huit cent mille livres sterling, de la jeunesse, de l’éclat, une certaine instruction, et la fatigue qu’on avait du mort, si favorable au survivant, faisaient de Henry viii le prince le plus riche, le plus redoutable, le plus populaire de toute la chrétienté. Les fêtes de son couronnement furent célébrées avec une allégresse sincère. Les richesses osaient se montrer enfin, délivrées de la crainte des collecteurs du dernier roi, lequel avait répandu sur tout le royaume un air d’avarice et de pauvreté qui étonnait l’étranger. Les ceintures et les colliers d’or reparaissaient à la taille et sur le cou des dames, depuis qu’on n’avait plus peur que le trésorier du roi ne les prît comme redevances des pères ou des maris. Henry viii et Catherine d’Aragon, sa femme, si comprimés eux-mêmes sous le feu roi, donnaient l’exemple et le ton à toute la noblesse de Londres, et paraissaient jouir naïvement de la splendeur de leurs habits royaux. Les diamans brillaient sur tous les bonnets ; la cour, que Henry vii, ami des petits, comme Louis xi, mais non point jusqu’à partager avec eux les dépouilles des grands, avait réduite, par ses lois somptuaires, à un état seulement décent, reluisait et scintillait au soleil. Le peuple battait des mains à tout ce luxe, car les nations aiment mieux dans les princes les défauts brillans que les qualités vulgaires, et le roi qui dépense que celui qui thésaurise ; préférence très judicieuse, après tout, car comme ce sont elles qui font les frais des deux espèces de caractères, et qu’il s’agit toujours