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les Germains nouvellement découverts ; en Orient, les Parthes, les Numides, les vieux et les nouveaux empires ; et au faîte de tout cela, César, à l’œil de faucon, portant dans son génie réfléchi tout le génie des temps modernes ; et que l’on dise si l’épopée ne s’est pas trouvée là. Lucain en eut le pressentiment ; par malheur, il fut embarrassé par la guerre civile. La ville lui cacha le monde.

L’histoire des temps chrétiens n’a pas présenté moins souvent que l’antiquité les conditions nécessaires de l’épopée. Il suffit de rappeler ici le christianisme sous la forme du catholicisme au moyen-âge, — l’ébranlement et le renouvellement du monde par les races barbares, sous la figure de Charlemagne et des douze pairs pour le Midi, de Siegfried et des Nibelungen, pour le Nord, — le règne des Arabes en Orient, — l’opposition du Christ et de Mahomet, — la lutte des Maures et des Espagnols, — les croisades, — la prise de Jérusalem, la Troie chrétienne, — la lutte des Normands et des Anglo-Saxons, — l’Amérique découverte, — l’humanité achevant d’enserrer le globe par la découverte des Portugais, etc.…

À cette série d’évènemens correspondent un grand nombre de monumens épiques : tous ces monumens n’ont pas atteint la perfection de l’art ; beaucoup ont été altérés par l’imitation des anciens ; d’autres, au contraire, ne franchissent pas les bornes de l’art populaire ; d’ailleurs, on retrouve parmi eux les phases marquées plus haut. La période religieuse est naturellement signalée et close par la Comédie divine. La période héroïque se compose, en Orient, de l’Antar des Arabes, du Schanameh des Persans ; en Occident, de Boiardo, d’Arioste, de Camoëns, de Tasse, etc… À cette phase des héros se rattachent les sagas scandinaves, — les Nibelungen, — le livre des héros, les romanceros espagnols, les poèmes chevaleresques d’Arthur et de Charlemagne, les fragmens des chants des Bohêmes, le Marco des Serbes, le Robin Hood des Anglo-Saxons, etc… La troisième époque est l’époque philosophique. Sous cette dernière forme, ce n’est plus seulement une race, un peuple, c’est l’homme pris en général, qui fait le sujet de l’épopée. Cette période, ouverte par le Paradis perdu, plutôt indiquée que remplie par Goëthe et par Byron, est encore à son commencement.

Si l’épopée est une des conditions attachées nécessairement au