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GUELFES ET GIBELINS.

inconnu aux vainqueurs et presque oublié des vaincus, qu’il osait célébrer les bienfaits du bon roi Alfred ou les exploits de Harold, fils de Sigurd. C’est que, des relations forcées qui s’étaient établies entre les indigènes et les étrangers, il commençait à naître une langue nouvelle, qui n’était ni le normand ni le saxon, mais un composé informe et bâtard de tous deux, que cent quatre-vingts ans plus tard seulement, Thomas Morus, Steel et Spenser devaient régulariser pour Shakspeare.

L’Espagne, fille de la Phénicie, sœur de Carthage esclave de Rome, conquise par les Goths, livrée aux Arabes par le comte Julien, annexée au trône de Damas par Tarik, puis séparée du califat d’Orient par Abdalrahman, de la tribu des Omniades ; l’Espagne, mahométane du détroit de Gibraltar aux Pyrénées, avait hérité de la civilisation transportée par Constantin de Rome à Byzance. Le phare éteint d’un côté s’était rallumé de l’autre, et tandis que s’écroulaient à la rive gauche de la Méditerranée le Parthénon et le Colysée, on voyait s’élever, à la rive droite, Cordoue avec ses six mille mosquées, ses neuf cents bains publics, ses deux cent mille maisons, et son palais de Zehra, dont les murs et les escaliers, incrustés d’acier et d’or, étaient soutenus par mille colonnes des plus beaux marbres de Grèce, d’Afrique et d’Italie.

Cependant, tandis que tant de sang étranger et infidèle s’injectait dans ses veines, l’Espagne n’avait point cessé de sentir battre dans les Asturies son cœur national et chrétien ; Pélage, qui n’eut d’abord pour empire qu’une montagne, pour palais qu’une caverne, et pour sceptre qu’une épée, avait jeté au milieu du califat d’Abdalrahman les fondemens du royaume de Charles-Quint. La lutte commencée en 717 s’était continuée pendant cinq cents ans, et lorsqu’au commencement du xiiie siècle, Ferdinand réunit sur sa tête les deux couronnes de Léon et de Castille, c’étaient les Musulmans à leur tour qui ne possédaient plus en Espagne que le royaume de Grenade, une partie de l’Andalousie et les provinces de Valence et de Murcie.

Ce fut en 1236 que Ferdinand fit son entrée dans Cordoue, et qu’après avoir purifié la principale mosquée, le roi de Castille et de Léon alla se reposer de ses victoires dans le magnifique palais qu’Abdalrahhman iii avait fait bâtir pour sa favorite. Entre autres merveilles, il trouva dans la capitale du califat une bibliothèque qui