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corde de la cloche aux mains d’Arnolfo, et sauta au bas de la plateforme ; le pauvre père n’avait pas eu le courage de voir mourir son septième enfant.

Farinata passa sur le corps du père comme il avait passé sur celui des fils ; le carroccio fut pris, et comme Arnolfo continuait de sonner la cloche, malgré les injonctions contraires qu’il recevait, Della Presa monta sur la plateforme et lui brisa la tête d’un coup de masse d’armes.

Du moment où les Florentins n’entendirent plus la voix de Martinella, ils n’essayèrent même plus de se rallier. Chacun s’enfuit de son côté, quelques-uns se réfugièrent dans le château de Monte-Aperto où ils furent pris le lendemain ; les autres moururent ; dix mille hommes, dit-on, restèrent sur la place du combat.

La perte de la bataille de Monte-Aperto est restée pour Florence un de ces grands désastres, dont le souvenir se perpétue à travers les âges. Après cinq siècles et demi, le Florentin montre encore aux étrangers le lieu du combat avec tristesse, et cherche dans les eaux de l’Arbia cette teinte rougeâtre que leur a donnée, dit-on, le sang de ses ancêtres ; de leur côté, les Siennois s’enorgueillissent encore aujourd’hui de leur victoire. Les antennes du carroccio qui vit tant d’hommes tomber autour de lui dans cette fatale journée, sont précieusement conservées dans la basilique, comme Gênes conserve, à la porte de la Darsena, les chaînes du port de Pise ; comme Perouse garde à la fenêtre du palais gouvernemental le lion de Florence : pauvres villes à qui il ne reste de leur antique liberté que les trophées qu’elles se sont enlevés les unes aux autres ; pauvres esclaves à qui leurs maîtres ont, par dérision sans doute, cloué au front leur couronne de reine.

Le 27 septembre l’armée gibeline se présenta devant Florence, dont elle trouva toutes les femmes en deuil ; car, dit Villani, il n’en était pas une seule qui n’eût perdu un fils, un frère ou un mari. Les portes en étaient ouvertes, et nulle opposition ne fut faite : dès le lendemain, toutes les lois guelfes furent abolies, et le peuple, cessant d’avoir part aux conseils, rentra sous la domination de la noblesse.

Alors une diète des cités gibelines de la Toscane fut convoquée à Empoli ; les ambassadeurs de Pise et de Sienne déclarèrent qu’ils ne voyaient d’autre moyen d’éteindre la guerre civile qu’en dé-