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de défiance ; loin de là, en arrivant près d’eux, il les salua avec courtoisie. Alors Schazetto des Uberti sortit de dessous son manteau son bras armé d’une masse d’armes, et d’un seul coup il renversa Buondelmonte de cheval ; au même moment Addo Arrighi, mettant pied à terre, lui ouvrit les veines avec son couteau. Buondelmonte se traîna jusqu’au pied de Mars, protecteur païen de Florence, dont la statue était encore debout, et expira. Le bruit de ce meurtre ne tarda point à retentir dans la ville. Tous les parens de Buondelmonte se rassemblèrent dans la maison mortuaire, firent atteler un char et y placèrent, dans une bière découverte, le corps de la victime. Sa jeune femme s’assit sur le bord du cercueil, appuya la tête fracassée de son époux sur sa poitrine, les plus proches parens l’entourèrent, et le cortége se mit en marche, précédé du vieux père de Buondelmonte, qui de temps en temps criait d’une voix sourde : — Vengeance ! vengeance ! vengeance !

À l’aspect de ce cadavre ensanglanté, à la vue de cette belle veuve pleurante et les cheveux épars, aux cris de ce père qui précédait le cercueil de l’enfant qui aurait dû suivre le sien, les esprits s’exaltèrent, et chaque maison noble prit parti selon son opinion, son alliance ou sa parenté. Quarante-deux familles du premier rang se firent guelfes, et se rangèrent au parti des Buondelmonti ; vingt-quatre se déclarèrent gibelines, et reconnurent les Uberti pour leurs chefs. Chacun rassembla ses serviteurs, fortifia ses palais, éleva des tours, et pendant trente-trois ans la guerre civile, se renfermant dans les murs de Florence, courut échevelée par ses rues et par ses places publiques.

Cependant les Gibelins, désespérant de vaincre s’ils restaient réduits à leurs propres forces, s’adressèrent à l’empereur, qui leur envoya seize cents cavaliers allemands. Cette troupe s’introduisit furtivement dans la ville par une des portes appartenantes aux Gibelins, et la nuit de la Chandeleur 1248 le parti guelfe vaincu fut forcé d’abandonner Florence.

Alors les vainqueurs, maîtres de la ville, se livrèrent à ces excès qui éternisent les guerres civiles. Trente-six palais furent démolis et leurs tours abattues ; celle des Toringhi, qui dominait la place du Vieux-Marché, et qui s’élevait toute couverte de marbre à la hauteur de cent vingt brasses, minée par sa base, croula comme un géant foudroyé. Le parti de l’empereur triompha donc en Toscane,