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REVUE. — CHRONIQUE.

reste oisif, ou est forcé de donner ses soins sans récompense. D’un bout de la France à l’autre, la misère des médecins est notoire. Quelques exceptions ne changent rien au fait général. Que Dupuytren ait gagné trois ou cinq millions à soigner des princes et des banquiers, cela n’empêche pas la foule des médecins de vivre dans la détresse. Combien de médecins, et des plus distingués, meurent comme leurs cliens, les gens du peuple, sans laisser de quoi se faire enterrer, sans laisser quinze francs de réserve !

De là aussi tant d’abus monstrueux dans la pratique de cet art. Comme un métier que dévore la concurrence, l’art médical est livré à toutes les ruses, à toutes les fourberies qu’emploient les marchands pour falsifier et vendre leurs marchandises. La probité est inutile, le savoir inutile, là où l’intrigue et le hasard font tout. Plus la difficulté de retirer un salaire convenable de cette profession est grande, plus ceux qui l’exercent s’ingénient à se donner un faux éclat, une fausse réputation, par toutes les voies, par tous les moyens, per fas et nefas. De là tant de mensonges qui souillent et tachent la réputation de médecins même considérables et estimables à divers égards. Mais lorsqu’on voit de véritables médecins se livrer ainsi, par nécessité ou par cupidité, à un triste charlatanisme, comment le charlatanisme dénué de toute science ne songerait-il pas à faire ses affaires dans ce champ si bien préparé pour lui ? Tout l’y convie et l’y invite. Lorsque des hommes qui ont du mérite peuvent être sans injure traités de charlatans, les charlatans, qui ne sont pas hommes de mérite, ont droit de se montrer et de tendre à leur aise leurs filets. On arrive ainsi aux dernières infamies. On arrive à ces spéculateurs qui font des fortunes avec des remèdes insignifians ou nuisibles, vantés, à tant la ligne, dans les journaux, et qui trouvent des hommes de lettres pour rédiger sous leur nom des ouvrages de médecine ou des voyages qu’ils n’ont pas faits !

Vraiment, quand on considère cette triste situation de la plus noble des professions, on n’est pas étonné des réclamations presque universelles qu’elle a fait naître depuis quelques années. Le mal, heureusement, est aujourd’hui avoué et bien connu : des médecins isolés, des réunions de médecins, le corps entier représenté par l’Académie de médecine, l’ont tour à tour signalé. Au surplus, ce mal est celui d’une foule d’autres professions, c’est celui de toutes les industries livrées à la concurrence, à l’individualisme.

Le problème à résoudre est de trouver des remèdes qui respectent la liberté. Parce que cette liberté, accompagnée d’une complète imprévoyance, nous a engendré beaucoup de maux, n’allons pas nous en prendre à elle de nos souffrances et nous tourner contre elle comme des insensés. Ce n’est pas la liberté qui est un mal, c’est l’imprévoyance que nous avons mise à côté d’elle. Il s’agit d’organiser la liberté et non de la détruire. Nous avons détruit les anciennes corporations, il serait absurde de les reconstruire purement et simplement. L’œuvre de la civilisation n’est pas une toile de Pénélope.

M. Gasté n’a pas prétendu traiter sous tous les rapports cette question