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qui se fit chez les Grecs des choses divines et des choses humaines, des dieux et des titans, du temple et de la cité, pour trouver le drame sous la forme achevée de l’art.

De ces origines différentes suivent naturellement les lois spéciales de chacun de ces genres de poèmes. De-là, la différence de leurs constitutions, de leur génie, de leurs beautés, et si l’on poussait cet examen plus loin, du style et des formes métriques qui leur sont propres.

La poésie épique étant, à proprement parler, la poésie de la providence ou le jugement divin de l’histoire, il ne lui suffit pas de peindre et de montrer les choses dont elle s’occupe ; il faut encore qu’elle en dévoile les causes et les mystères. De là, pour elle la nécessité de l’assistance du ciel, que l’on a traduite, dans la langue des critiques, par le besoin du merveilleux. Cette nécessité a été tellement sentie que l’on a cru que les temps modernes sont impropres à l’épopée, sur ce fondement que le merveilleux y manque. Il est évident que l’on a confondu ici l’apparence des choses avec la réalité. L’épopée, sans doute, doit être pleine de Dieu ; on ne peut y faire un pas sans y sentir la présence céleste. Mais en quoi la scolastique s’abusait, c’était de croire que cette présence réelle dût nécessairement se manifester, comme chez les anciens, par un personnage palpable, tel qu’un Mercure, un Griffon, ou une idéalité, que l’on appelait la Renommée, la Discorde, etc. On retombait ainsi dans une idolâtrie morte. Ce n’est pas l’idole, mais le dieu, dont l’épopée a besoin. Ce n’est pas la présence divine sous la forme d’une personnalité détruite, que je cherche dans votre poème désert. Ce que je demande, c’est que les faits se succèdent au sein de la pensée divine, que cette pensée soit, pour ainsi dire, le lieu des évènemens. Voilà la première et l’unique loi du merveilleux ; et voilà aussi pourquoi Bossuet est épique, et, pourquoi Voltaire a mis le drame à la place de l’épopée.

Une seconde conséquence qui se déduit de cette première, est celle-ci. Si les évènemens qui font le sujet de l’épopée, se passent au sein de l’intelligence divine, il en résulte que ces évènemens eux-mêmes doivent être éclairés de sa lumière, c’est-à-dire que le personnage épique doit apparaître très différent du personnage dramatique. Le même personnage, conçu sous ces deux points de vue, s’exprimerait encore fort différemment, dans des circonstances