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façon particulière appartient à Octave, cette défaite successive de l’amour, après le triomphe enivrant, n’est-elle pas à peu près l’histoire de tous les cœurs ? Adolphe n’a-t-il pas été écrit pour représenter en détail cette pénible situation ? Faut-il avoir été libertin, pour se lasser après avoir aimé, après avoir possédé ? Et n’y a-t-il pas, au contraire, des exemples de jeunes cœurs, qui après une première corruption non invétérée, se sont sauvés et rachetés par l’amour ? L’exemple d’Octave me semble donc un cas particulier qui ne fait pas loi, et ce qu’il a de plus général dans la dernière partie, ne se rattache pas à ce qu’Octave été libertin, mais à ce qu’il est homme, impatient, excessif, se lassant vite, triste et ennuyé dans le plaisir, habile à exprimer l’amertume du sein des délices : or, cela était vrai du temps de Lucrèce, du temps d’Hippocrate, comme du temps d’Adolphe et du nôtre.

Dans les dernières scènes entre Octave et Brigitte, après l’arrivée à Paris ; dans ce conflit pénible, fatigué, tantôt sourd et tantôt convulsif, d’une jalousie fantasque et d’un amour épuisé, j’ai été frappé d’un inconvénient. Ces pages sont vraies en ce sens qu’elles rendent des scènes qui ont pu se passer entre deux personnages pareils, et qu’elles trahissent la confusion des pensées qui ont pu s’agiter dans leur cerveau. Mais l’art qui choisit, qui dispose, qui cherche un sommet et un fondement à ce qu’il retrace, avait-il affaire de s’engager dans cette région variable d’accidens et de caprices, où rien n’aboutit ? Avec des êtres arrivés à un certain degré d’expérience, de versatilité, de sophisme à la fois et d’imagination dans la passion, on est sur les sables mouvans. Il n’y a pas plus de raison pour qu’un résultat sorte plutôt que l’autre, pas de base où asseoir un intérêt moral, une conclusion à l’usage de tous. Pourquoi Octave ne poignarde-t-il pas Brigitte ? Pourquoi le petit crucifix d’ébène aperçu l’arrête-t-il au moment de frapper ? Accident, pur accident ! Le vent souffle d’un côté ou de l’autre ; le tourbillon de sable mouvant se met à courir dans ce sens, il aurait couru tout aussi aisément dans le sens contraire. Je le répète, on est dans la région des phénomènes, où l’art, cet ennemi de tout chaos, ne doit pas rester. On n’est pas en face d’une peinture, mais d’un mirage. Qu’a donc de commun le développement, l’analyse morale d’une passion, d’une situation, avec ce quelque chose de fatigué et d’exalté, de factice et de physique ? « Tu ne t’entends pas trop mal, se dit Octave à lui-même en se