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DU BONHEUR.

aura plus dédaigné le corps et exalté la souveraine puissance de l’ame. Enfin nous avons prouvé, dans les articles que nous rappelons ici, le vide et l’absurdité des nouveaux psychologues qui, abstrayant de l’être complexe esprit-corps ce qu’ils appellent le moi, et donnant, par une inconcevable pétition de principes, à ce moi ainsi abstrait toutes les propriétés qui n’appartiennent qu’à l’être complexe esprit-corps, raisonnent ensuite tout à leur aise, sans jamais s’apercevoir qu’ils ont pris pour une base solide le point de départ le plus chimérique et le plus faux.

Descartes, dans une réponse qu’il avait faite à Gassendi, l’avait appelé chair. Gassendi termina sa réplique par ces paroles remarquables : « En m’appelant chair, vous ne m’ôtez pas l’esprit. Vous vous appelez esprit, mais vous ne quittez pas votre corps. Il faut donc vous permettre de parler selon votre génie. Il suffit qu’avec l’aide de Dieu je ne sois pas tellement chair que je ne sois encore esprit, et que vous ne soyez pas tellement esprit que vous ne soyez aussi chair. De sorte que ni vous ni moi nous ne sommes ni au-dessus ni au-dessous de la nature humaine. Si vous rougissez de l’humanité, je n’en rougis pas. »

Esprit-corps, non pas un esprit et un corps, telle est en effet la nature humaine. « L’homme, dit Pascal, n’est ni ange ni bête. »

Chose étrange ! ce mot de Pascal n’a pas encore été compris. Nous distinguons trois règnes, le règne minéral, le règne végétal, et le règne animal ; et nous comprenons l’homme dans le règne animal. Puis, changeant tout à coup de point de vue, nous reconnaissons la nature spirituelle de l’homme, nous lui donnons un nom, nous l’appelons ame ; et voilà un autre monde. L’homme alors nous apparaît tantôt comme un animal, tantôt comme une ame. L’animal a ses partisans exclusifs, l’ame a aussi les siens. Les uns, considérant l’homme comme un animal, le ravalent par leurs préceptes à la condition des animaux ; les autres, le considérant comme une espère d’ange, lui enseignent une vie impossible et contraire à sa nature. De là deux morales également absurdes aujourd’hui et également pernicieuses.

N’est-il pas bientôt temps qu’on s’accorde là-dessus en quelque vérité ? car voila vingt-deux siècles qu’on se divise : d’un côté seize siècles, depuis Platon jusqu’à la fin du moyen-âge, dont la tendance