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DU BONHEUR.

sciences étaient pour lui la réalisation incomplète, mais accessible à l’homme, de l’idéal humain. Les sciences connues reçurent donc un nouvel élan de l’Idéalisme. Des sciences presque inconnues jusque-là naquirent. Dans le sein de Platon se forma Aristote, aussi fortement tourné vers la Vertu que son maître. Aristote engendra Alexandre, ce missionnaire de la philosophie, si pénétré d’idéal, que la terre ne pouvait ni le satisfaire, ni le contenir. Alexandre transporta la Grèce en Égypte, à son berceau. Puis d’Alexandrie le foyer vint à Rome, et tous ces Romains commencèrent à se demander vers quelle étoile marchait l’humanité.

L’Idéalisme, réalisé anthropomorphiquement par des Juifs, produisit le Christianisme. Alors tout l’Occident se tourna avec tant d’empressement vers l’idéal, que non-seulement la vie qui nous est commune avec les animaux fut méprisée, mais que l’on crut pouvoir immédiatement, et sans l’intermédiaire de cette vie, se réunir à la Beauté divine. De là le Monachisme et le Christianisme du moyen-âge.

Quand on découvre un continent nouveau, il faut l’explorer et le défricher ; on voit s’élancer, avec une sorte de frénésie sublime, des espèces de conquérans qui se fraient une route au sein de la nature sauvage, des pionniers qui mènent une vie inculte là où par eux doit régner un jour la civilisation. À combien plus forte raison, quand le monde spirituel commença à être entrevu, ne devait-on pas se précipiter avidement à sa recherche, et se frayer son chemin la hache à la main ! Ce fut le rôle des Antoine, des Basile, des Benoît, ces praticiens sublimes du Platonisme interprété par saint Paul, saint Athanase, et saint Augustin.

Mais lancé dans cette voie, il fallait à l’homme la fin du monde ; on y croyait, on l’attendait : l’Évangile même l’avait prédite pour une ou deux générations. La fin du monde ne vint pas. D’ailleurs l’idéal n’avait pas ravi tous les hommes au même degré ; l’abstinence ne les avait pas tous séduits ; la virginité, le célibat, n’avaient pas tout envahi. De là deux mondes et deux Christianismes : d’un côté les laïques, et de l’autre les prêtres et les moines ; d’une part la doctrine absolue de saint Paul et de saint Augustin menant au détachement complet du monde, et de l’autre cette même doctrine modifiée pour s’accommoder avec la vie. Saint Paul, comme nous l’avons vu, avait dit : « Soit que vous mangiez, ou que vous buviez,