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nous aurions bien su faire toutes ces découvertes, par cela seul qu’elles nous étaient utiles. S’il n’y avait pas eu une doctrine qui présentât l’utilité sous un aspect moral, l’humanité eût condamné absolument ces recherches ; car la loi de l’humanité est d’être morale.

Effort sublime vers la liberté, le Stoïcisme a enfanté pour l’humanité des biens d’un autre genre. Avec Épicure, il s’agissait d’éviter les maux, en obéissant à la nature en esclave intelligent ; avec Zénon, il fallait être libre. Or, enchaîné par la nature, enchaîné par la société, l’homme ne pouvait alors être libre qu’en se réfugiant dans une sublime indifférence. Vingt siècles se sont écoulés ; voyez si les révolutions du monde n’ont pas amené un progrès de liberté dans notre condition naturelle et sociale, et si cette aspiration à être libres, source du Stoïcisme, n’a pas eu sa réalisation. L’homme s’est affranchi de l’homme et de la nature. Il s’affranchira de plus en plus de l’homme et de la nature. L’homme deviendra de plus en plus l’égal de l’homme, et la nature obéira de plus en plus à l’homme. Nous sommes aujourd’hui presque aussi puissans sur la nature que le Jupiter tout-puissant de l’Olympe des Grecs ; et le temps approche où Épictète ne sera plus en aucune façon l’esclave des autres hommes.

Mais de ces diverses solutions celle qui a eu le plus d’influence sur le monde, c’est incontestablement l’Idéalisme de Platon. Ce fut vraiment l’étincelle de vie qui anima notre Occident. Comme la statue de Pygmalion où tout est en marbre jusqu’au moment du contact de l’amour divin, l’Occident resta sans lumière morale jusqu’à la révélation de Platon. C’est Platon, si long-temps surnommé le Divin, qui, heureux interprète de la philosophie antérieure, fit le premier descendre sur nous le feu qui nous fait vivre.

Quand il eut enseigné que le propre de l’homme n’était pas la satisfaction des sens à la manière des animaux, mais que le propre de l’homme était la satisfaction d’un besoin inné de beauté et de bonté, la moralité humaine eut conscience d’elle-même. Ce fut alors vraiment pour la première fois que l’homme dans notre Occident eut la face tournée vers le ciel : Os homini sublime dedit. Car la révélation de cet attrait vers le beau fut la révélation de ce que l’on a appelé le Ciel.

Platon n’excluait pas la science, avons-nous dit. Au contraire les