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d’escorgées, et qui au demeurant n’essayèrent ni ne surent jamais ce que c’est qu’une pure, nette et libérale joie, non point cicatrisée ; car si la gale, la démangeaison de la chair et la chassie des yeux sont choses mauvaises et fâcheuses que refuit la nature, il ne s’ensuit pas pourtant que de gratter sa peau et frotter ses yeux soient choses bonnes et heureuses ; ni, si superstitieusement craindre les dieux et toujours être en angoisse et en frayeur de ce que l’on raconte des enfers est mauvais, il ne faut pas inférer que, pour en être exempt et délivre, on soit incontinent bienheureux ni bien joyeux. » Cette critique du véritable Épicuréisme est d’une admirable justesse. La quiétude où Épicure prétendait placer l’homme était en effet, je le répète, toute négative. Aussi l’Épicuréisme n’a-t-il jamais pu s’y tenir ; et cela est tellement vrai que ce que l’on entend vulgairement par ce mot est plutôt la doctrine d’Aristippe et de l’école cyrénaïque, que celle d’Épicure. Horace lui-même, qui a si profondément compris la doctrine philosophique de son maître, ne l’a rendue poétique qu’en la teignant d’aristippisme et de volupté. Le carpe diem revient sans cesse sous sa plume. Il ne s’agit pas seulement pour lui de satisfaire aux prescriptions de la nature, mais de les appeler et de les savourer par des désirs toujours renaissans. Épicure voulait rester en place : il ne voulait pas remonter le torrent comme Zénon, il ne voulait pas s’y livrer aveuglément comme Aristippe ; il ne croyait pas, comme Platon, que ce torrent, aidé de nos efforts, pût nous mener au terme d’un voyage. Non, il voulait rester immobile, recevoir chaque vague et la laisser passer ; puis venait la mort, qui terminait l’exercice du sage. Mais son sage qui joue ainsi avec la vague, qui ne prétend avoir que de l’adresse, qui ne veut ni résister ni se diriger, est, pour peu que le torrent soit fort, entraîné à son insu par la vague. Dépourvu d’idéal avec Épicure, on s’habitue insensiblement à regarder la volupté comme un bien, et non comme une guérison du mal ; on ne l’attend plus, on la cherche ; on n’obéit plus à la nature par raison, on se livre avidement à ses penchans, on les désire, et on s’y abandonne. La pente est inévitable. La cause profonde de cela est que notre vie est une continuelle aspiration, et que nous ne pouvons par conséquent résister, sans point d’appui, à la force qui nous entraîne. L’Épicuréisme devait donc tourner soit à un égoïsme étroit, soit au sensualisme ; la maxime d’Épicure Aime-