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DU BONHEUR.

Sur cette question : Quelle est notre condition dans cette vie ? et comment devons-nous nous y comporter par rapport aux biens et aux maux qui s’y rencontrent ?

Platon répond : Il faut vivre de cette vie, s’intéresser à cette vie, mais pour renaître.

Épicure : Vivre, accepter la vie, sans penser à renaître.

Zénon : Ne pas s’intéresser à cette vie, en quelque sorte ne pas vivre ; mais être dès cette vie une force libre, une liberté, se faire Dieu, puissance absolue, vaincre complètement le Destin, s’émanciper, s’affranchir, bien certain qu’après cette vie l’enchaînement au monde est à jamais rompu.

Saint Paul, développé par saint Augustin : Ne pas s’intéresser à cette vie, ne pas vivre ; penser, comme Platon, que c’est un état contraire à la nature originelle de l’homme, et comme Zénon, que cette chaîne ne durera pas long-temps et ne se reproduira plus ; mais tandis que Zénon cherche son Sauveur en lui-même, ne le chercher qu’en Dieu, c’est-à-dire dans cette Sagesse dont parle Platon et qu’il reconnaît comme ayant en Dieu son existence réelle, dans ce Verbe dont ce même Platon a si souvent parlé, et qui s’est véritablement incarné en Jésus.

Les moyens indiqués par ces diverses philosophies sont conformes aux buts divers qu’elles nous assignent.

Platon nous dit : Aime, en cherchant Dieu dans ton amour.

Épicure : Aime-toi.

Zénon : Abstiens-toi.

Saint Paul : N’aime que Dieu.

« Soit que vous mangiez, ou que vous buviez, ou quelque autre chose que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu[1]. »

Aimer, voilà donc le moyen également indiqué par le Platonisme, l’Épicuréisme et le Christianisme. En effet notre vie n’étant, comme nous l’avons vu, qu’une aspiration, force nous est bien d’aimer et de nous attacher à quelque chose. Le Stoïcisme, ne s’attachant à rien, devait disparaître. Il fallait, si l’on ne voulait pas aimer le monde et les créatures, aimer Dieu ; et c’est ce que le Christianisme a fait, en se tournant exclusivement à cette Beauté divine que Platon avait représentée comme le but vers lequel nous tendons, même

  1. Épître aux Corinthiens, chap. x, v. 31.