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DU BONHEUR.

notre destinée qu’il enseigne ; ce n’est pas le renversement de la nature et de la vie. Il y a donc dans Platon, préludant au Christianisme, une sorte d’acceptation de la nature et de la vie, qui n’existera pas chez ses successeurs les Pères du christianisme, quand les trois termes divins de la série qui joint le ciel à la terre auront pris une telle consistance pour leur foi, et auront à leurs yeux une réalité si anthropomorphique, que cette lumière céleste ne leur laissera plus voir la terre que comme un obscur cachot d’où ils auront hâte de sortir, surtout lorsque, joignant le Stoïcisme au Platonisme, ils auront adopté des stoïciens l’idée de la prochaine fin du monde.

Platon, je le répète, tourne au contraire toute cette théologie au perfectionnement de la nature et de la vie. Est-ce chez lui une contradiction ? Nous ne le croyons pas ; car, malgré les nuages que nous laissent sur ce point ses écrits, il est certain qu’il admettait en même temps l’opinion pythagoricienne de la métempsychose et des existences successives ? Conséquemment sa théologie ne le conduisait en aucune façon à ce renversement du monde où se précipitèrent les stoïciens et les chrétiens.

Quoi qu’il en soit, il suffit de jeter les yeux sur ses ouvrages pour voir que sa doctrine est toujours pour lui une sorte d’introduction à la vie pratique. À ses yeux le souverain bien est quelque chose d’inaccessible pour la raison humaine ; nous y tendons, nous devons y tendre, nous ne tendons même qu’à cela au milieu de nos plus grandes erreurs : mais nous ne pouvons y tendre et nous ne devons y tendre qu’à travers le monde. C’est dans le monde que se reflètent les rayons épars de cette Beauté que nous cherchons en vertu de la constitution même de notre être, qui est essentiellement et uniquement une aspiration. C’est là, c’est dans les objets terrestres, que l’Amour, émission céleste de la Beauté céleste, nous saisit, nous enflamme, et nous incite à vivre, c’est-à-dire à nous avancer, d’aspiration en aspiration, vers le souverain bien, vers Dieu. Qui nous dit que ce pélerinage puisse être subitement terminé ? Qui peut penser que nous puissions franchir d’un seul saut la distance infinie qui nous sépare de notre but ? Ne pouvant pas saisir le bien dans l’unité, nous devons donc le chercher dans la diversité et la contingence. Toutes les manifestations finies du souverain bien ont de l’analogie avec lui, sans être le bien même. Ces manifestations, ce sont les idées du bien que nous recueillons à l’occasion des objets ;