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Nous n’entrons pas ici dans la controverse qui s’est élevée sur la doctrine et la vie de ce grand homme. Nous sommes disposés à le considérer avec vénération sous le jour respectable où nous l’ont représenté, dans l’antiquité comme dans les temps modernes, ses nombreux apologistes. Nous avouons ne pas connaître de génie plus imposant que celui qui s’est agrégé Horace et Lucrèce, et dont l’influence a régné presque sans partage sur des siècles tout entiers. Escorté de tant de disciples, Épicure s’avance dans l’humanité aussi grand que le plus grand des sages. Par un curieux symbole de sa destinée, il fut dans son enfance ce que les Grecs appelaient un chasseur de spectres. Il allait, avec la pauvre femme qui lui donna le jour, de maison en maison, faire des lustrations saintes pour mettre en fuite les mauvais génies. Il a fait et il fera toujours le même office pour l’humanité. Il a été et il sera toujours le chasseur de spectres, celui qui nous sauve de la superstition. Et cette influence sera toujours utile. Il sera toujours utile et souvent nécessaire de ramener les hommes au point de vue de la terre. Ce qu’Épicure a eu de plus que la plupart de ses imitateurs anciens et modernes, c’est la sainteté avec laquelle il a fait cette œuvre, s’efforçant d’instaurer ce contentement de la terre d’une façon toute religieuse. C’est le législateur pur, intègre, des époques intermédiaires entre une religion qui tombe et une religion nouvelle. Au rapport de tous les anciens, ce fut sa secte qui comparativement se forma le plus vite, qui se maintint la plus nombreuse, et qui dura le plus long-temps ; il la vit florissante autour de lui dans son Jardin, et elle subsistait encore dans une grande harmonie six cents ans plus tard, au second siècle de notre ère, lorsque le christianisme allait bientôt tout envahir. Cela devait être : l’épicuréisme devait fleurir à la chute du paganisme, comme il devait renaître à la chute du christianisme. Et par là je n’entends point la nécessité absolue où l’humanité se trouve de détruire par le doute des religions vieillies qui arrêtent sa marche ; ce n’est pas cette face de l’épicuréisme que je considère : je veux parler de la légitimité de son règne à certaines époques. Quand les religions sont tombées, que reste-t-il à faire ? L’homme est bien forcé d’accepter la vie présente telle qu’elle est : le sage cherche à la passer avec le moindre tourment possible ; l’insensé la gaspille et la dévore. Alors viennent ces époques, si marquées dans l’histoire, de passions raffinées, de volupté frénétique et de mélancolie profonde,