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le héros, Napoléon. À ces deux fragmens s’ajoutera une troisième partie qui complétera le sens des précédentes. En attendant qu’elle soit achevée, l’obscur monument que l’auteur eût voulu édifier reste exposé à plusieurs attaques, dont quelques-unes peut-être, et surtout l’accusation d’une tendance irréligieuse, eussent été repoussées si le lien qui réunit ces divers fragmens se fût montré dès le commencement.

Que si l’on demande, d’abord, de quel droit un écrivain sans mission a osé toucher le sujet que j’aborde aujourd’hui, je répondrai que les plus grands sujets ne sont pas toujours les plus difficiles à traiter ; que le devoir du poète est d’exprimer, non pas d’inventer la poésie ; que les plus vastes objets, Dieu, la nature, le héros, sont les motifs habituels des chants des poètes les plus obscurs et les plus populaires. S’il est des sujets sacrés dans la mémoire des peuples, ceux-là ne repoussent guère les esprits qui les cultivent avec une piété sincère. Enfin, j’ajouterai qu’ayant passé les premières et les meilleures années de ma vie dans les bras des soldats et dans les camps de l’empire, je n’ai pas été tout-à-fait le maître de choisir mes souvenirs. Souvent il m’est arrivé, ainsi qu’à d’autres hommes de mon temps, de penser qu’il eût été bien de mourir dans ces saintes batailles de 1814 et de 1815, où s’agitait, en France, la question de tous, non pas la question d’un seul ; mais l’âge m’ayant manqué, comme à eux, pour cela, et plusieurs des évènemens qui ont suivi ayant plutôt confirmé qu’effacé ce regret, j’ai cherché du moins à entretenir en moi-même et dans quelques autres la commémoration de tant de glorieuses morts ; et si j’ai échoué ici dans mon entreprise, j’espère n’être accusé, ni par les vainqueurs ni par les vaincus, d’avoir inconsidérément profané leur mémoire.

Une raison plus spécieuse de repousser cet ouvrage sans examen reposerait sur l’idée presque universellement admise que l’esprit français est impropre à l’épopée, et que notre langue est privée du génie héroïque. Pour donner à cette opinion sa valeur précise, il n’est pas inutile de voir dans quelle époque elle s’est formée. Personne n’ignore aujourd’hui que la France du midi et du nord a produit au moyen-âge plus de monumens épiques qu’aucune autre contrée de l’Europe ; le jour n’est pas loin où la publication des manuscrits du xiie et du xiiie siècle ne laissera plus sur