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que, sur le seuil de la maison. Fiamma ne dormait pas, elle attendait Simon, elle n’était pas à beaucoup près aussi calme et aussi gaie que la première fois. Elle se leva dès qu’il parut, et marcha à sa rencontre. Simon ne l’avait pas vue depuis deux ans. Il croyait bien être guéri de ce que cette affection avait eu de violent et d’exclusif ; mais à peine l’eut-il aperçue, qu’il devint pâle comme la mort, et s’appuyant contre le mur de la cabane, il s’écria dans une sorte d’égarement : « Oui, c’est ma destinée ! »

Fiamma lui prit la main avec tendresse.

— Allons, embrassez-le donc ! lui dit Bonne en la poussant avec un peu de brusquerie dans les bras de Féline. C’est à présent un plus grand personnage que vous, madame la dogaresse.

— Pourquoi êtes-vous changée, Fiamma ? dit vivement Féline en regardant son amie, mon Dieu ! qu’y a-t-il ? Je ne vous ai jamais vue ainsi ! Vous est-il arrivé malheur ? J’ai cru que cela n’était pas fait pour vous !

— Allons, donc ! s’écria Bonne avec une familiarité qu’elle n’avait jamais eue avec Simon, vous voyez bien que c’est la joie de vous revoir. Et vous, faut-il que je vous apporte une glace, pour vous montrer la belle figure que vous faites ?

— Mon amie, dit-elle à Fiamma, une demi-heure après, en traversant le verger de la mère Féline, vous voyez que je ne me suis pas trompée. Croyez-vous que je puisse épouser un homme qui se trouve mal en vous voyant ? et pensez-vous qu’à l’heure qu’il est, il se souvienne de m’avoir priée avant-hier d’être sa femme ?

— Pourquoi non ? et qu’importe ?…

— Taisez-vous, taisez-vous, fourbe ! s’écria Bonne, vous savez bien qu’il vous aime et qu’il n’en guérira jamais. Mais rassurez-vous, mon amie, je ne comptais pas sur un pareil miracle, et j’ai dit hier à mon jeune médecin qu’il pouvait revenir ce soir, que je lui donnerais mon dernier mot. Vous pouvez imaginer quel il sera, et voyez ! je n’en meurs pas de desespoir ! Ai-je maigri depuis une demi-heure ? Mes cheveux n’ont pas blanchi, que je sache ? Ne m’est-il pas tombé quelque dent ? C’est inexplicable, mais depuis que Simon s’est trouvé mal, je me sens tout-à-fait bien ; il ne me reste pas la plus petite incertitude ni le moindre regret. Allez, ma Fiamma, vous êtes la seule femme que cet homme-là puisse aimer, de même qu’il est le seul homme…