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du gouvernement constitutionnel. M. Thiers blâmait donc M. Humann ; il le blâmait surtout en présence de ses collègues, et ne trouvait pas de termes assez forts pour qualifier un procédé si inoui. Mais dans les conversations de la chambre, au milieu des députés partisans de la mesure, et dans son salon, le ministre approuvait fort la mesure en elle-même ; il s’en déclarait le partisan le plus dévoué, et il semblait n’aspirer qu’à l’honneur de la proposer. Sans doute, en ce moment, M. Thiers ne songeait pas que c’était soupirer pour l’éloignement de ses collègues de l’instruction publique et des affaires étrangères.

La position que M. le ministre de l’intérieur a prise est, ce nous semble, une position assez forte. Que la proposition de M. Gouin succombe ou soit ajournée, M. Thiers, qui n’a pas imité M. Humann, et qui s’est rangé officiellement à l’avis du cabinet, restera tranquillement ministre, et tous ses soins, ainsi que ceux de ses amis, se concentreront sur les chemins de fer, jusqu’à de meilleurs jours. Que l’opinion de M. Humann l’emporte au contraire, que la chambre s’enflamme pour les économies promises par la réduction projetée, M. Thiers, qui est l’homme des économies, le partisan de la réduction, l’ennemi des gros intérêts et du taux élevé de l’argent, M. Thiers prend la place qui lui convient dans le nouveau ministère, il y fait valoir sa spécialité financière, qui date de ses essais sur Law, comme il ferait valoir, au besoin, sa spécialité militaire, qui date de ses récits stratégiques des guerres d’Allemagne et d’Italie. Qui sait ? M. Thiers, qui a certainement tous les titres du monde à diriger un cabinet, sera peut-être ministre des finances et président du conseil, à moins que le portefeuille du ministère de l’intérieur ne lui semble bon à garder en ce moment. Mais la présidence lui échoierait infailliblement, et, dans l’un ou l’autre cas, nous aurions en lui ou M. de Villèle ou Casimir Périer.

Mais il est à craindre que M. Thiers reste tout simplement M. Thiers, car la chambre commence à s’attiédir et à voir avec un peu plus de circonspection les avantages prétendus de la conversion des rentes. La chambre d’abord ne songe pas à renverser le ministère ; les plus ardens partisans de la conversion voudraient la concilier avec le maintien du cabinet, et ils ont vu avec effroi que la prise en considération de la proposition forme déjà un noyau d’opposition prise dans toutes les nuances de la chambre. Ainsi M. Laffitte se trouve, par ce fait, rapproché de M. Giraud, et M. Thiers, qui est aussi partisan de la mesure que qui que ce soit, se trouverait naturellement amené à prendre sa place dans un ministère de conversion, où figurerait M. Laffitte. De leur côté, les journaux de l’opposition, qui s’étaient si habilement ralliés au maréchal Gérard quand il entra dans le cabinet, s’introduisent de nouveau dans la