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Comme de toutes les classes d’électeurs, celle des freemen est évidemment la moins indépendante, la plus accessible à la corruption, c’est aussi celle pour laquelle les adversaires de la réforme ont témoigné la plus vive sollicitude. C’est ainsi qu’en France le suffrage universel a été réclamé par les mêmes hommes qui avaient été quelques années auparavant chauds partisans du double vote.

La plupart des bourgs pourris étaient tellement inféodés à leurs patrons, que l’on pourrait en citer 40, pour l’Angleterre seule, où, de mémoire d’homme, il n’y avait pas eu d’élection contestée ; il y en avait au moins 25 en Irlande qui étaient dans le même cas. Les propriétaires de ces bourgs les vendaient, les donnaient, les transmettaient à leurs héritiers. William Henrick avait hérité du bourg de Bletchingly, acheté par son père 250,000 francs ; il le revendit en 1820 pour la somme de 1,500,000 francs, mais, avant de s’en défaire ainsi, il avait usé de l’influence que cette possession lui donnait pour obtenir diverses places pour lui-même et pour ses proches.

Le bourg de Gatton fut acheté en 1795 au prix de 2,750,000 francs. Dans ce bourg il y avait six maisons, et le droit électoral n’appartenait qu’aux propriétaires des maisons qui les occupaient eux-mêmes. Le patron du bourg en louait cinq, s’en réservait une, et se trouvait ainsi seul et unique électeur.

Il y a quelques années, pour faire ressortir tout le ridicule d’une pareille élection, un particulier, nommé Jennings, se fit porter comme candidat à Gatton, et le scrutin fut demandé. Le résultat de ce scrutin fut :


M. Mark Wood, fils du propriétaire, unique électeur, sir Mark Wood
1 voix.
M. Jennings 0
Majorité en faveur de M. Mark Wood 1 voix.


À Gatton au moins il y avait encore le simulacre d’un bourg, mais à Old Sarum, il n’y avait plus ni maisons ni habitans ; on n’y voyait que les vestiges de l’ancien château. Au jour de l’élection, le propriétaire du bourg conférait 7 freeholds à 7 personnes sûres qui nommaient ses deux candidats. Je dis à des personnes sûres, car pour ce cas, comme pour tous ceux où avaient lieu des concessions fictives, si les gens qu’on créait ainsi pour un jour propriétaires avaient voulu le demeurer tout de bon, ils le pouvaient, la loi ne reconnaissant point les contre-lettres. Mais il faut le dire, il ne s’est pas encore présenté de cas où l’on ait profité ainsi du bénéfice de la loi.

Dans les bourgs qui n’étaient pas propriété privée, on achetait les électeurs. Il a été prouvé, dans des enquêtes parlementaires, qu’à Shore-