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qu’Hérodote ; comme lui, il expose les origines des sociétés, leurs traditions, et toujours Hérodote a sur lui l’avantage du bon sens et de la pénétration, Denys d’Halycarnasse a-t-il le moins du monde l’intelligence de ce qui est primitif ? et ne faut-il pas toujours dégager les faits qu’il nous transmet d’une enveloppe qui les altère ?

Veut-on un autre exemple ? Voici un autre historien, né à Chio, élève d’Isocrate, qui entreprend d’être le continuateur de Thucydide, et d’écrire l’histoire contemporaine dont il trouve le héros dans Philippe de Macédoine. Cet écrivain ne manquait ni de renseignemens précieux ni du talent d’écrire ; il est souvent cité par les auteurs qui lui succédèrent ; mais les jugemens de Théopompe étaient toujours passionnés, et l’on ne pouvait prêter créance aux appréciations qu’il faisait des hommes et des choses. Polybe, après avoir cité le portrait qu’il trace de Philippe de Macédoine, lui reproche d’avoir commencé son histoire par le pompeux éloge de ce prince, et d’avoir changé cet éloge dans le cours de son récit dans la plus calomnieuse peinture. « Je doute, ajoute Polybe, que l’on approuve davantage le dessein général de Théopompe. Il entreprend d’écrire l’histoire de la Grèce en la prenant où Thucydide l’a laissée, et quand on s’attend à lui voir décrire la bataille de Leuctres et les plus brillantes actions des Grecs, il laisse là la Grèce et se jette sur les exploits de Philippe. Or, il aurait été, ce me semble, bien plus raisonnable d’insérer l’histoire de Philippe dans celle de la Grèce, que d’envelopper l’histoire de la Grèce dans celle de Philippe. Quelque ébloui que l’on fût de la dignité et de la puissance royale, on ne saurait pas mauvais gré à un historien qui, en parlant d’un roi, passerait par occasion aux affaires de la Grèce ; mais jamais historien sensé, après avoir commencé par l’histoire de la Grèce, et l’avoir un peu avancée, ne l’interrompra pour faire celle d’un roi[1]. » Ainsi, Théopompe échouait dans la difficulté de raconter dignement les rapports nouveaux de la Macédoine et de la Grèce, tandis qu’Hérodote avait trouvé le secret d’enfermer la lutte de la Grèce et de l’Asie dans une unité pleine de grandeur et de simplicité. Hérodote dans son récit est impartial, et néanmoins il est Grec ; de plus il est Athénien ; on lui sent pour

  1. Exemples de vertus et de vices. — Théopompe.