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ÉTUDES DE L’ANTIQUITÉ.

lies, lissées et unies façons de parler, afin que, sans y prendre garde, nous ne mettions en notre teste de fausses, étranges et absurdes opinions et persuasions des meilleurs et plus nobles hommes et villes de la Grèce[1]. »

Il est singulier qu’Hérodote et Thucydide aient eu tous les deux le malheur d’être mal compris et d’être attaqués hors de toute raison. Denys d’Halycarnasse a fait de Thucydide les critiques les plus insensées ; il lui reproche son sujet même, et le blâme d’avoir écrit l’histoire d’une grande catastrophe. On s’étonne davantage de rencontrer si futile et si inique dans ses agressions Plutarque dont l’esprit est d’ordinaire si étendu et si juste. Il semble qu’il y ait une époque dans l’histoire de l’antiquité où les meilleurs génies ne pouvaient échapper à la pente du sophisme. Sénèque, pas plus que Plutarque, ne sauve sa vaste pensée de la contagion de la sophistique et de la rhétorique.

Que ne puis-je imiter Hérodote ! s’écrie Lucien : je ne dis pas en tout, ce serait trop désirer ; mais que ne m’est-il permis d’atteindre à quelques-unes de ses perfections ! Que n’ai-je en partage la grace de son style, l’harmonie et la douceur particulière de son dialecte ionien, la richesse de ses pensées, et mille autres beautés que cet écrivain a su réunir, et qui feront à jamais le désespoir de ceux qui voudraient le prendre pour modèle[2]. Voilà une louange éclatante ; voilà comment s’honore la critique. L’écrivain de Samosate porte toujours, dans ses jugemens comme dans ses railleries, une exquise justesse ; et nous voyons, par la manière dont il a parlé de Thucydide, de Démosthène et d’Hérodote, qu’il eut autant d’enthousiasme pour le génie que d’enjouement cruel contre le ridicule.

Mais on n’a pas assez remarqué combien, outre la beauté de la forme, Hérodote, pour le fonds même de son histoire, grandit, quand on le rapproche de ceux qui vinrent long-temps après lui. Dira-t-on, par exemple, que Diodore de Sicile et Denys d’Halycarnasse ont l’esprit plus juste et le jugement plus sain ? Trouvera-t-on dans Diodore quelque chose qui puisse ressembler à ce que nous appelons la critique historique ? Il raconte souvent les mêmes faits

  1. Traduction d’Amyot.
  2. Hérodote, ou Aétion.