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mais ce n’est pas un homme taillé pour les jours d’orage. Ce n’est pas même un homme d’affaires, et son administration a été vicieuse de tous points.

L’Espagne est criblée d’abus civils, judiciaires, bureaucratiques, d’abus de toutes sortes. Il y en a de si patens, qu’ils aveuglent à force d’évidence. Quant à lui, il n’a pas su les voir, ou s’il les a vus, il n’a pas voulu y porter la cognée. Pas un seul n’a été réformé ; l’intention de le faire un jour n’a pas même été exprimée. Il ne s’agit là cependant ni de théories sociales ni de principes abstraits ; il s’agit de simples réformes administratives. Mais M. Martinez avait érigé en système l’immobilité, et il ne touchait à rien, de peur d’être amené à toucher à tout. Il ne voulait pas se créer de périlleux antécédens. Il est vrai que la position était difficile, et que deux questions terribles, la guerre civile et la banqueroute, dominaient toutes les autres. Mais ce n’était pas en proclamant à la face d’une révolution entravée, et en poussant jusqu’au fanatisme ces étranges doctrines d’immobilité et d’optimisme universel, que l’on pouvait espérer de remuer l’opinion publique et d’opérer ces miracles qu’elle seule enfante aux jours du désespoir. Aussi le règne de M. Martinez n’a-t-il eu d’autre résultat que d’amener la monarchie à l’extrême bord du précipice.

L’homme chargé de la retenir dans sa chute vint trop tard, c’est-à-dire que la première faute de M. de Toreno fut de n’avoir pas arraché plus tôt des mains de son rival les rênes de l’état. Il le pouvait, il le devait. Mais sa faute, selon nous, remonte plus haut. À son retour aux affaires, deux rôles s’offraient à lui ; il pouvait être chef de l’opposition, il préféra être ministre ; il tira évidemment la mauvaise carte. Il prit, dès l’abord, une situation fausse ; entrer dans un ministère qui était déjà formé, et dont la direction suprême ne lui était pas abandonnée, c’était compromettre doublement sa responsabilité, puisque d’une part il acceptait un passé dont il n’était pas l’auteur, et que de l’autre il s’associait à un avenir qu’il n’était pas maître de diriger selon ses vues. N’était-ce pas à beaucoup d’égards s’infliger à soi-même le supplice de Mézence ?

M. de Toreno le comprit sans doute, car il affectait souvent de se renfermer exclusivement dans sa spécialité ; mais c’était là une