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L’ESPAGNE DEPUIS FERDINAND VII.

tenue ; mais il est doué d’un imperturbable aplomb et d’un esprit de censure infatigable. Il est le type complet de l’opposition systématique ; il en fait sur tout, à tout propos ; il est chicaneur, il est taquin, il est tourmentant ; il ferait perdre patience à la patience même, et si des anges s’asseyaient jamais sur la sellette des ministres constitutionnels, ils compromettraient leur salut à discuter avec lui. M. de Las Navas s’attachait de préférence à M. de Toreno ; c’était son adversaire de prédilection, et jamais il ne manquait de se mettre en colère. En les voyant aux prises ; nous pensions souvent, sauf les différences, à la fable de la mouche et du lion.

Malgré ce donquichottisme d’opposition, parfois un peu outré, M. de Las Navas joue à la chambre un rôle fort utile. Il faut des hommes comme lui ; il faut de ces yeux de page qui furètent partout, de ces voix indiscrètes qui disent tout sans ménagement. On s’expose, il est vrai, à quelques erreurs de détail, voire même à quelques petits mensonges ; mais le bénéfice général compense ces légers périls. On peut penser ce qu’on veut du comte de Las Navas, on en peut médire à son aise hors de la chambre ; mais dedans on l’écoute, car il n’est jamais ennuyeux, et souvent il amuse ; il a des saillies piquantes et tombe à tout instant sur des mots heureux. Comme il est l’antipode du style académique, et qu’il dit, sans sourciller, tout ce qui lui vient aux lèvres, son improvisation a tout l’intérêt de la nouveauté et tout le sel de l’imprévu. Nous l’avons vu occuper la tribune des séances entières sans qu’on l’interrompît, et sans que son auditoire donnât le moindre signe d’impatience ou de lassitude.

Nous aimerions à mettre en relief le peu d’hommes nouveaux qui ont forcé la consigne du statut royal, et pénétré dans la chambre ; nous leur décernerions volontiers le brevet d’orateur ; mais en conscience cela est impraticable : notre bonne volonté échoue contre l’impossible ; la palme, nous l’avons dit, est restée aux anciens. Un seul des débutans, l’avocat Lopez, procurateur d’Alicante, s’était annoncé avec assez d’éclat ; c’était un feu de paille, il s’est éteint. Un autre, poète et romancier, M. Telesforo Trueba, procurateur de Santander, avait donné quelques espérances ; elles ne se sont pas réalisées. Quant à MM. Gonzalez et Caballero, dont les noms ont été quelquefois cités, ils peuvent avoir des